En bref
- Blue Capital : la stratégie ratée de deux actionnaires endettés.
- Un calcul dont la Belgique fait les frais.
- Malgré 1,030 milliard d’euros (1) de chiffre d’affaires au premier trimestre 2010 en Belgique, la direction du groupe Carrefour prévoyait en février de fermer 21 magasins.
Après avoir économisé 590 millions d’euros en 2009, Carrefour mise sur 500 millions supplémentaires en 2010. En Belgique pourtant, on parle déjà du groupe au passé.
L’origine du problème
Mars 2007, le français Bernard Arnault (seconde plus grosse fortune de France et leader mondial de l’industrie du luxe) et le fonds américain Colony Capital intègrent le capital de Carrefour. Via leur filiale luxembourgeoise Blue Capital, ils s’approprient d’entrée de jeu 10 % du capital du distributeur. Blue Capital devient ainsi le deuxième actionnaire de Carrefour, derrière la famille Halley qui en détient 13 %. Blue Capital veut pousser Carrefour à vendre une partie de son patrimoine immobilier. Cette opération devrait permettre de dégager une plus-value estimée à l’époque à 14 milliards d’euros (2). Un bénéfice qui serait alors redistribué sous forme de dividendes aux actionnaires qui se seraient probablement retirés du groupe. Mais c’était sans compter sur le krach immobilier qui fit chuter les prix. Dès lors, impossible de vendre des briques à un bon prix ! La perte potentiellepour Blue Capital est de 1,9 milliard d’euros. Les investisseurs commencent à paniquer. Le marché boursier se refroidit et l’action Carrefour chute. Les titres Carrefour achetés 53 euros n’en valent plus que 29.
Le cercle vicieux de l’actionnariat
Obligé de s’endetter pour rentrer dans le groupe Carrefour, Blue Capital, après une première mauvaise opération financière, est en
mauvaise posture. Afin de rentrer dans ses frais, le fonds d’investissement envisage alors de vendre les filiales asiatiques et sud-américaines pour se replier sur l’Europe. Une vente qui dégagerait un bénéfice suffisamment important pour amortir les pertes que les actionnaires viennent de subir, mais un choix qui ne tient pas compte de l’avenir. En 2008, le chiffre d’affaires de Carrefour a augmenté de 17 % en Chine et de 29 % au Brésil. Et cette tendance se confirme pour le futur. Carrefour est aujourd’hui numéro un de la grande distribution alimentaire au Brésil ! Le groupe a donc tout intérêt à ne pas se séparer de ses florissantes filiales. De plus, si les marchés européens sont stables, la consommation y est lente et la hausse des ventes y reste limitée. Deuxième revers pour Blue Capital : soucieuses d’un équilibre des forces de la grande distribution sur leur territoire, les autorités chinoises s’opposent à la vente de la filiale en Chine. Cette solution est donc abandonnée. Quant à la filiale sud-américaine, elle est bien trop rentable pour être vendue. Les actionnaires l’ont bien compris et s’opposent à cette vente. Face aux contestations, Blue Capital se voit contrainte de laisser cette option en suspens.
Une logique de court terme qui met la Belgique hors-jeu
Cette mésaventure illustre la dérive à laquelle conduit le transfert de propriété des entreprises dans les mains d’actionnaires guidés par une logique exclusivement financière de court terme. Une démarche qui vide le groupe Carrefour de toute préoccupation sociale. L’objectif n’est plus de produire la richesse par une activité économique, mais de capter la richesse en spéculant. Un calcul dont la Belgique fait les frais. Si une chute de 74 % des bénéfices annuels a été observée en 2009, le groupe Carrefour demeure bénéficiaire en Belgique. Mais pas suffisamment selon les décideurs. Les supermarchés belges ne rivalisent pas avec ceux du Brésil, de Chine ou encore d’Indonésie.
(1) http://www.carrefour.com/docroot/groupe/C4com/Pieces_jointes/CA/COMMUNIQUE%20T1%202010%20FR%20DEF.pdf
(2) Alternatives économiques, n° 286, décembre 2009, p.70.