Création d'un Service Bancaire Universel (SBU) en France : la montagne a-t-elle accouché d'une souris ?

01/2006
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Réseau Financité, (ex- Réseau Financement Alternatif)

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Alors que le Premier Ministre français annonçait il y a quatre mois la création d'un service bancaire universel en 2006, la réunion du Comité consultatif du secteur financier (CCSF) qui s'est tenue ce 30 janvier a débouché sur un aménagement du dispositif existant en matière de droit au compte.

Le discours prononcé par le premier ministre français Dominique de Villepin lors de l’installation à Matignon du Conseil National de lutte contre l’exclusion le 16 septembre 2005 en avait surpris plus d’un.

A cette occasion, il avait en effet annoncé la création d’un service bancaire universel en 2006, et avait chargé le ministre français de l’économie Thierry Breton, le ministre de la cohésion sociale Jean-Louis Borloo et le ministre délégué à la Cohésion sociale Catherine Vautrin de mettre en place ce système.

Cette annonce, qui avait réjouit les associations de consommateurs, avait par contre été assez mal accueillie par le secteur bancaire, qui considère que le système actuel couvre « tous les besoins » en France et qu'un service bancaire universel n’est dès lors pas justifié1.

Le dispositif existant permet à toute personne physique domiciliée en France dépourvue d’un compte de dépôt d’ouvrir un tel compte dans l’établissement de son choix ou auprès des services financiers de la Poste.

Les établissements de crédit demeurent toutefois libres de contracter ou non, la personne ayant essuyé un refus officiel de la part de l’établissement choisi devant alors saisir la Banque de France par écrit afin que cette dernière lui désigne un établissement bancaire afin de lui ouvrir un compte.

L’organisme bancaire désigné selon cette procédure doit alors assurer gratuitement les services bancaires de base.

Ce droit au compte fait toutefois l’objet de nombreuses critiques, notamment en raison de la possibilité de refus laissée aux banques et de la lourdeur de la procédure auprès de la Banque de France.

Suite à l’annonce du premier ministre, la question de l'accès à un compte en banque et aux moyens de paiement a été mise à l’ordre du jour du Comité consultatif des services financiers (CCSF), qui regroupe les banques, les associations familiales et de consommateurs et les pouvoirs publics.

Celui-ci s’est réunit une première fois le 19 octobre, et il avait alors été convenu que le CCSF remette son rapport fin décembre.

A l'issue de cette première rencontre, le ministre de l'Economie avait indiqué que « plusieurs pistes » étaient à l'étude et les banques se déclaraient prêtes à participer à l'élaboration d'un diagnostic.

La deuxième réunion du CCSF, qui a eu lieu le 28 novembre, a cristallisé les divergences de point de vue des différents protagonistes.

Ces divergences portaient notamment sur « la définition ou non de critères de ressources » ou sur « les modalités de financement d'un nouveau dispositif plus large que l'existant ».

Désireuses de réaffirmer leurs revendications, plusieurs associations de consommateurs (l’UFC-Que Choisir, Familles rurales, UFCS et l’Unaf) cosignaient le 27 janvier dernier un communiqué2 par lequel elles sollicitaient que les ministres prennent position pour un service bancaire universel, accessible directement, sans condition de ressources, et gratuitement.

Afin d’appuyer leur propos, ces dernières soulignaient que « 8 membres du CCSF sur 13 affirment qu'il y a, au-delà de l'actuel SBB, nécessité d'un service universel dit d'intérêt général ».

Mettant un terme aux expectatives des uns et des autres, le plan d’action présentéle ministre des Finances à l’issue du CCSF le 30 janvier écoulé s’articule autour de quatre engagements distincts :

  • Le premier engagement vise à garantir « un droit au compte effectif pour tous ».

Pour ce faire, deux mesures concrètes seront mises en œuvre : le droit au compte pourra désormais être activé en 24 heures (un jour ouvré), la banque se chargeant désormais de toutes les formalités auprès de la Banque de France…

  • Le second engagement a trait à « l’accès pour tous à une carte bancaire ».

Celui-ci sera garanti par une modification apportée au service bancaire de base, qui inclura désormais obligatoirement une carte de paiement à autorisation systématique, en restant totalement gratuit.
De leur coté, les banques devront accélérer la diffusion des gammes alternatives de paiement et des cartes de paiement à autorisation systématique.

  • Le troisième engagement concerne « l’accompagnement personnalisé en direction des publics en difficulté ».

Les banques devront contacter de manière personnalisée tous leurs clients interdits de chéquier qui ne sont pas équipés de moyens de paiement alternatifs (1.179.000 personnes contactées d’ici fin juin 2006) et un plan de développement de l’accompagnement social des personnes en difficulté sera déployé pour lutter contre l’exclusion bancaire.

  • Enfin, le quatrième engagement prévoit des mesures concrètes afin d’instaurer l’ «acceptation généralisée des moyens modernes de paiement dans les services publics de proximité ».

Il est convenu que le Premier Ministre fera un premier bilan de ce plan d’action à l’occasion de la prochaine conférence nationale de lutte contre l’exclusion à la fin du mois d’avril prochain.

Force est de constater qu’on est loin de rencontrer les revendications d’un service bancaire universel, accessible directement, sans condition de ressources et gratuitement tel que revendiqué par les associations de consommateurs.

Quant au principe même de la création d’un service universel tout d’abord, une définition s’impose.

Selon la Commission européenne3, « la notion de service universel porte sur un ensemble d’exigences d'intérêt général dont l'objectif est de veiller à ce que certains services soient mis à la disposition de tous les consommateurs et utilisateurs sur la totalité du territoire d'un État membre, indépendamment de leur position géographique, au niveau de qualité spécifié et, compte tenu de circonstances nationales particulières, à un prix abordable ».

Les points essentiels4 ressortant de cette définition sont donc l’accès de chacun à certains services jugés essentiels, la couverture de l’ensemble du territoire, la spécification d’un niveau de qualité et enfin la notion de prix abordable.

Or, si il répond bien aux critères de qualité minimale spécifiée et de prix abordable (gratuité), le service bancaire de base tel que proposé par le droit au compte nouvelle formule ne rencontre pas la condition d’accessibilité à tous, puisque seules les personnes n’ayant jamais eu de compte ou qui ont vu leur compte fermé peuvent y avoir accès.

Le droit au compte ne constitue donc pas un service bancaire universel.

Quant à l’accès au droit au compte « nouvelle formule » ensuite, celui-ci demeure un droit indirect, octroyé après l’intervention de la Banque de France, les banques conservant leur droit de refuser l'ouverture d'un compte sans avoir à se justifier.

La saisie de cette dernière est désormais internalisée au sein de l’établissement de crédit qui a marqué son refus, le droit au compte étant ensuite « activé » dans les 24 heures.

A cet égard l’Union Fédérale des Consommateurs (UFC)-Que choisir5 relève toutefois que, la Banque de France devant de toute façon désigner un établissement proche du domicile du demandeur, il y a fort à parier qu'elle désigne la banque ayant refusé l'ouverture du compte et pas une autre, l’étape intermédiaire étant alors inutile…

 

Enfin, quant à la gratuité, celle-ci ne sera (comme précédemment) de mise que pour les bénéficiaires du service bancaire de base (SBB), c’est-à-dire les personnes qui ne disposent d’aucun compte bancaire.

 

Ce service bancaire de base concerne actuellement 15.000 à 20.000 personnes environ, alors que le nombre de clients inscrits au fichier central des chèques s’élève à environ 2 millions au total, soit un rapport de un à cent6.

Comme le souligne le conseil de la consommation français7, ce rapport de un à cent permet d’évaluer l’effet incitatif de la gratuité du droit au compte sur le comportement des établissements bancaires.

Cette gratuité peut alors « inciter les établissements bancaires à agir pour éviter que les consommateurs y aient accès, par exemple en conservant des consommateurs défaillants à qui ils ont retiré l'usage du chéquier et en leur facturant les moyens de paiement dont ils continuent de bénéficier, plutôt que de prendre le risque d’être obligés de leur offrir les mêmes services à titre gratuit ».

Si l’on veut éviter que la gratuité n’engendre de tels dysfonctionnements, il convient que celle-ci vise une série de services jugés d’intérêt général offerts à tous, dont le financement du coût net restant à la charge du prestataire est organisé dans des conditions objectives et non discriminatoires propres à le rendre pro-concurrentiel.

Lorsqu’elle n’est pas le corollaire d’un service universel, la gratuité non seulement perd de sa force, mais peut de plus engendrer un effet pervers et limitatif sur l’offre de services.

Une fois ces précisions apportées, il faut toutefois reconnaître que le droit au compte nouvelle version apportera néanmoins une solution, certes indirecte, aux situations d’exclusion bancaire liées aux difficultés d’accès au compte.

Or, c’est justement sur base de l’affirmation qu’« il est indispensable d’avoir accès au service bancaire » que le chef du gouvernement avait « appelé à la mise en place d’un service bancaire universel dans les plus brefs délais afin qu’en 2006 les personnes les plus démunies puissent toutes avoir un compte en banque et qu’elles bénéficient d’un accompagnement personnalisé » 8.

Cet accès désormais mieux garanti, on peut considérer que l’objectif annoncé par le premier ministre sera atteint grâce aux mesures prises, service universel ou pas….

Reste que l’exclusion bancaire est un phénomène qui dépasse la simple impossibilité d’accès à un compte bancaire, où difficultés d’accès aux services bancaires au sens large et les difficultés d’usage de ces mêmes services (interdits de chéquiers, surendettés) sont mêlées9.

A cet égard, le plan concocté par les pouvoirs publics prévoit que les banquiers mettront en place, d'ici fin juin 2006, une information pour présenter leurs « gamme de moyens de paiement alternatifs » qui comprend désormais une carte de paiement à autorisation systématique.

Les critiques fusent déjà du coté de l’UFC-Que choisir10, qui souligne que ce « pack » proposé par les banques depuis octobre 2005 est restreint à quelques opérations de base (relevé de compte mensuel, encaissement de virements et de chèques, dépôt et retrait d'espèces à la banque, ...) et reste cher (3 euros/mois) pour les usagers en difficulté financière.

Celle-ci ne se satisfait pas par ailleurs de ce qu’elle dénonce comme « un simple toilettage du droit au compte » alors « qu’était attenduun réel service bancaire universel (SBU) promis par le premier ministre ».

Du côté de l’association de consommateurs CLCV11, on estime que les mesures d'accompagnement sont « une avancée significative » car « l'information arrive toujours mieux à destination quand elle est dispensée sur le lieu de vente ».

Satisfaite, la Fédération bancaire française (FBF)12 souligne que les mesures prises sont dans le prolongement des engagements pris par les établissements de crédit en 2004, et indique que « les banques mèneront une large campagne d'information pour faire connaître ces services ».

Le ministre Français de l’économie13 affirme quant à lui que ses « concitoyens auront désormais non seulement un accès au compte bancaire, mais aussi le droit à des moyens de paiement modernes - tout particulièrement une carte de paiement - et un accompagnement personnalisé ».

L’avenir nous apprendra vite si la fourniture de services spécifiques assurée de manière discrétionnaire par les établissements de crédits français permettra effectivement de remédier aux problèmes d’exclusion bancaire dénoncés.

Entre nous, on s’interroge toutefois sur la déclaration de Thierry Breton, qui annonce que « l’ensemble des mesures prises permettra de faire du droit au compte un vrai service universel »14 …

 

Lise Disneur - Janvier 2006

 

1 Voir notre article « Dominique de Villepin annonce la création d’un service bancaire universel pour 2006 en France » et les références citées, publié en octobre 2005 sur le site www.rfa.be rubrique publications

2 Communiqué du 27.01.2006, disponible sur le site http://www.quechoisir.org

3 Livre Vert de la Commission sur les services d'intérêt général, 21.5.2003 COM(2003) 270

4 Points essentiels mis en évidence par le Conseil de la concurrence Français dans son Avis n° 05-A-08 du 31 mars 2005 relatif à une demande d’avis de la Confédération de la Consommation, du Logement et du Cadre de Vie sur les conditions dans lesquelles pourrait être envisagée la mise en place d’un service bancaire de base.

5 Communiqué du 01.02.2006 sur le site http://www.quechoisir.org

6 Données reprises dans le communiqué de la FBF sur le site

7 Avis du Conseil de la concurrence n°05-A-08 du 31 mars 2005 relatif à la demande d’avis de la confédération de la

Consommation, du Logement et du Cadre de Vie ( CLCV) portant sur les conditions dans lesquelles pourrait être envisagée la mise en place d’un service bancaire de base

9 Pour de plus amples informations sur ce sujet voir Gloukoviezoff G. (éd.), (2005), Exclusion et liens financiers. Rapport du Centre Walras 2004, Paris

10 Communiqué du 01.02.2006 sur le site http://www.quechoisir.org

11 Confédération de la Consommation, du Logement et du Cadre de Vie

12 Communiqué du 30.01.2006 sur le site http://www.fbf.fr

14 Idem

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