En bref
- Les banques éthiques ont vu le jour à partir des années 70.
- L'ISR n'a cessé de prendre de l'ampleur depuis.
- Mais la qualité des produits dits « éthiques » est souvent douteuse.
L'investissement socialement responsable ( ISR ) est une pratique chère aux banques éthiques. Il consiste à placer son épargne dans des entreprises ou États qui, au-delà de critères financiers traditionnels, respectent des valeurs sociales et environnementales précises. La sélection se fait sur la base de critères d’exclusion ( refuser d'investir dans certains domaines ) ou de critères positifs ( privilégier certains domaines d'investissement ).1
Aujourd'hui, face aux dégâts causés par la finance casino, l'ISR se profile de plus en plus comme l'option innovante et incontournable pour placer son argent.
Banques éthiques en Europe et chez nous
En Europe, on recense actuellement une bonne trentaine d'institutions financières éthiques, même si toutes n'ont pas le statut bancaire. Elles se caractérisent par le fait que tous leurs investissements respectent des critères sociaux et environnementaux. Elles se répartissent sur 13 pays de l'Union européenne, recueillant environ 35 milliards d'euros au total 2 et totalisant 650 000 associés. Ces chiffres restent toutefois une goutte d'eau dans
l'océan bancaire. Chez nous, une seule banque éthique est présente sur le marché depuis 1993 : Triodos.
Deux grandes stratégies sont développées par les banques éthiques : s'immiscer sur le marché bancaire classique avec une offre 100% éthique et tenter de l'influencer. L'autre stratégie consiste à vouloir grandir suffisamment pour rivaliser d'égal à égal. Aujourd'hui, force est de constater qu'aucun de ces objectifs n'est atteint.
L'éthique des banques classiques
En 1984, sous la pression du secteur associatif, apparaissait le premier produit bancaire ISR : le compte d’épargne Cigale. En 1992, c'est au tour des premiers fonds de placement ISR de voir le jour dans nos banques. Leur évolution en termes de quantité et de capitaux n'a cessé d'augmenter depuis lors, mais est très fortement liée à la politique commerciale générale de la banque. En 1992, le volume de capitaux s'élevait à 44 millions. À la fin 2000, ce chiffre dépassait le milliard d'euros notamment suite à la poussée de Bacob qui incita ses clients à investir dans les produits ISR qu'elle proposait. Aujourd'hui le marché ISR belge se compose d’environ 1089 produits financiers 3, dont pas moins de 340 fonds de placement ISR et 7 comptes d'épargne. Le reste des produits sont des parts dans des sociétés ou coopératives à finalité sociale. Le volume total des capitaux s'élève à environ 15 milliards d’euros, ce qui représente 3,4 % de parts de marché, soit un chiffre encore trop faible pour peser sur les lignes directrices des grandes institutions financières. Pourtant, la part de marché des fonds ISR continue d'augmenter ( 9 % en 2011, contre 7,2 % en 2009 ). Ce qui prouve que la demande est bel et bien là. Ce volume de capitaux dépend bien entendu de la stratégie commerciale des grandes banques : Dexia, leader historique sur ce secteur pendant de nombreuses années, s'est fait supplanter en 2005 par KBC qui a inclu réellement l'ISR dans sa stratégie commerciale, avec pour résultat 60 % de parts de marché pour KBC, plus de 6 milliards d'euros, contre 15 % pour Belfius ( anciennement dénommée Dexia ) en 2011.
Greenwashing ou solution durable ?
Selon le dernier rapport ISR en Belgique, la note qualitative moyenne de ce marché a augmenté en 2012, passant de 5,8/100 ( 2010 ) à 6,4/100 ( 2011 ) ... Cette faible note s'explique par le fait que 73 % des fonds cotés ont obtenu 0 point car, étant des produits structurés, bien qu'ils soient ISR à leur conception, ils ne garantissent aucunement la qualité ISR dans le temps. Sur les fonds restants, seul un fonds dépasse la barre des 60/100 4. De là à conclure que la grande majorité des produits ISR sont du greenwashing, il n'y a qu'un pas. Difficile donc pour l'investisseur, engagé ou non, de s'y retrouver (5). Pourtant, le label indépendant Ethibel, créé en 1992, était un gage de qualité pour les produits ISR. En 2002, les grandes banques commerciales se sont retirées du label, estimant être en mesure d'évaluer elles-mêmes ... les entreprises dans lesquelles elles investissent. En l'absence de contrôle externe, il n'est pas rare de retrouver, dans ces fonds de placement, de grandes multinationales ( BP, France Telecom ... ) ou encore des sociétés financières dont une partie de l'activité peut être mise en avant comme socialement responsable. Pour ces dernières, on ne tient pas ou peu compte du réinvestissement possible ! En l’absence d'un cadre juridique délimitant le concept, chaque institution financière, association ou fédération est libre d’en établir une définition propre ... C'est pourquoi FairFin et le Réseau Financement Alternatif exigent
une norme minimale ISR inscrite dans la loi. Actuellement, deux propositions de loi existent pour introduire cette norme de qualité. Elles sont dans les mains du Parlement. Le travail et la percée des banques éthiques en Europe ne peut qu'être encouragé, mais il en faudra plus pour réellement influencer tout le secteur. Aujourd'hui, l'ISR représente moins de 4 % du marché. Si demain, il atteint 20 ou 30 % de parts de marché, les aspects sociaux et environnementaux deviendront incontournables pour les banques, les entreprises et les États ; mais, espérons-le, aussi pour les épargnants qui, par leurs demandes de rentabilité financière, mais aussi sociale ou environnementale, détiennent une des clefs de la solution. La crise actuelle qui touche durement « les plus faibles du système » découle directement de l'irresponsabilité du secteur financier, nous laissant présager un combat de David contre Goliath encore long et parsemé d’embûches avant que la finance ne serve réellement les intérêts de tous plutôt que ceux de quelques-uns.
1. Bernard Bayot, « Finance : l'éthique et la solidarité en prime », RFA, 2009. Analyse en ligne sur financite.be.
2. BAYOT, B., Crise financière et modèles bancaires, RFA, octobre 2012.
3. Rapport sur l'investissement socialement responsable 2012, Réseau Financement Alternatif
4. Ibid.
5. Retrouvez la cotation de l'ensemble des produits ISR sur financite.be, rubrique « Produits financiers ».