Trois questions à Salvatore Vetro
Comment se décline la gestion participative dans votre groupe ?
Un peu d’histoire : en 1949, l’ancêtre de Terre est Emmaüs. En 1963 l’asbl Terre est créée et ce nom est choisi en réaction à la conquête de la lune par les États-Unis dans les années soixante (n’y a-t-il pas déjà assez à faire
ici-bas ?). Nous appelions les collectes bénévoles de valorisables : «Opération Terre». En 1980 démarre le projet de créer des emplois d’économie sociale autour de la collecte et du tri (papiers, vêtements, et autres). Puis Terre devient un groupe composé d’entreprises (Récol’terre, Tri-terre, Pan-terre, Co-terre et Acoustix ), et de l’ONG Autre Terre, le tout chapeauté par l’asbl Terre. Cette structure se justifie par le fait que les entreprises en question déploient des activités industrielles, impliquant des exportations. Pour ces activités, le statut de société anonyme est le plus adapté. Mais pour garantir la finalité sociale et permettre la gestion participative, il fallait régler son compte à l’argent. C’est pourquoi le capital de ces sociétés est neutre : les actions ne sont pas aux mains de particuliers, elles appartiennent à l’asbl, dirigée par une assemblée générale qui nomme un conseil d’administration. Tous les travailleurs du groupe ont le droit d’être membres de l’assemblée, et d’y voter. 70 d’entre eux ont accepté de jouer le jeu.
La gestion participative est-elle une garantie de conditions de travail décentes ?
S’il est vrai qu’un travailleur impliqué et motivé est en général plus flexible, et ça c’est un risque à maîtriser, la gestion participative garantit en tout cas l’esprit de groupe. La mobilisation des énergies et le partage du bon sens, c’est une force.
Quelle est votre « recette miracle » pour gérer les difficultés ?
Il ne s’agit pas de discuter de tout et n’importe quoi. Le conseil d’administration est là pour gérer l’entreprise. L’assemblée générale les a élus et leur fait confiance. Au moins trois fois par an, elle décide plutôt des grandes orientations. A ce niveau, tout le monde n’est pas également impliqué, mais chaque travailleur a intégré l’habitude de réunions hebdomadaires et du débat qui permet à tout le monde de progresser ensemble dans la prise de décision. Du coup, quand un conflit ou un problème survient, la discussion est plus facile. Les travailleurs apprennent aussi à lire un bilan, ils savent distinguer les problèmes de trésorerie et de budget. Pour certains débats, un groupe de travail issu de l’AG fait des propositions, comme lorsque s’est posé le problème de l’embauche de cadres spécialisés. La fourchette salariale qui était très étroite (de 1 à 1,7) a été revue à la hausse (de 1 à 2,6). Le processus, de longue haleine, aboutit en général à un vote consensuel. Parce que tout le monde a participé au débat et suivi le cheminement !
Trois questions à Cesar Rivas
César Rivas, administrateur délégué de la coopérative La Florida (Chanchamayo, Pérou) et président de la fédération nationale péruvienne des producteurs de café. FINANcité l’a rencontré à Namur le 19 juin 2009, à l’occasion des Chantiers de l’économie sociale (1)
Les coopératives autogérées se sont développées en Amérique latine bien plus qu’en Europe. Au Pérou, en moins d’un demi-siècle, les coopératives de caféiculteurs ont conquis 20 % du marché, principalement pour l’exportation labellisée « commerce équitable ». 95 % de ce marché particulier sont à présent aux mains des coopératives, les 5 % restants revenant à des associations.
La structure coopérative protège-t-elle les travailleurs de toute exploitation ?
En effet, les socios (associés de la coopérative) sont de petits producteurs qui emploient eux-mêmes peu d’ouvriers agricoles, si l’on excepte les périodes de récolte. Le statut de ces derniers est régi par une convention prévue dans le règlement de la coopérative. La coopérative elle-même emploie quelques personnes, pour la commercialisation des produits. Au total, les socios constituent l’essentiel de la main-d’oeuvre, ils sont donc leurs
propres patrons.
Comment expliquez-vous le succès des coopératives en Amérique latine ?
Au Pérou, voici 43 ans, des caféiculteurs qui travaillaient pour une grande entreprise de production ont décidé de s’organiser de manière autonome. Le mouvement s’est répandu par effet de contagion, car il permettait à des
cultivateurs isolés de s’entraider. La Florida est implantée dans la Selva Alta, loin de Lima dont l’influence se limite à la zone côtière. Dans la Selva Alta, il y a eu beaucoup de terrorisme, il fallait que les habitants s’organisent entre eux pour se protéger. À présent, 35 % des familles de caféiculteurs ont rejoint les coopératives. Ce mouvement est un bon antidote à l’exode rural. Il ne permet pas de l’enrayer complètement, mais le freine en tout cas. Car, dans le cadre coopératif, les caféiculteurs ont la possibilité de garder des conditions de travail décentes, notamment en évitant les intermédiaires.
Quels sont les défis auxquels sont confrontées les coopératives de votre fédération ?
Nous avons acquis notre indépendance et notre système est solide. Du coup, certains socios ont tendance à tout attendre de leur coopérative. Il ne faut quand même pas perdre de vue les aléas du secteur et le contexte économique national, voire mondial. D’où l’intérêt de se diversifier... Sophie Hiernaux, qui accompagne Cesar
Rivas à l’occasion des Chantiers, apporte son éclairage. Pour son mémoire de fin d’études, qui traite précisément des coopératives de caféiculteurs au Pérou, elle y a voyagé et a récolté les témoignages de caféiculteurs. Certains d’entre eux craignent qu’en se diversifiant La Florida perde son âme...Cesar Rivas en a vu d’autres... Pour moi, la solution, c’est l’éducation. La durabilité du modèle est garantie par son indépendance, mais aussi par sa professionnalisation. Or, parmi nos socios, les niveaux de formation sont très disparates. C’est sans doute moins le cas chez vous, en Belgique... (1) Organisation : SAW-B