Introduction : prévention du surendettement
Il n'est pas inutile de rappeler, lorsque l'on parle de prévention du surendettement, que l'approche la plus efficace est bien celle qui mobilise, au moment où un acte de consommation ou de crédit est posé, des garde-fous qui garantissent que cet acte est financièrement adapté au budget de la personne ou du ménage concerné.
Cela ne concerne donc pas l'ensemble des actes de consommation, mais seulement ceux qui permettent un paiement différé et donc, bien sûr, l'ensemble des crédits.
Pour réduire le risque de défaillance de son client, un fournisseur peut soit développer des produits et services que l'on acquiert par du pré-paiement (ce qui se développe en téléphonie, notamment) soit chercher des informations susceptibles de le renseigner sur le risque et sur la capacité financière que son client représente. L'approche la plus commune est la constitution et la consultation de listes « noires », permettantd'éviter dans un premier temps de servir un client déjà endetté auprès du fournisseur même, ou auprès d'autres, dans la mesure ou des échanges d'informations seraient organisés entre fournisseurs (via un fichier centralisé, par exemple), et ce, dans le respect de la protection de la vie privée.
Ce qu'il faut garder à l'esprit, dans ce contexte, c'est que l'information contenue dans les fichiers négatifs ne traite pas de la capacité budgétaire : on n'y apprend rien quant à la capacité financière du client à faire face à ses engagements futurs... mais alors, qu'y apprend-on ?
Les défauts de paiement... nous parlent du passé
Pour commencer ce chapitre, prenons pour hypothèse que tout fichier négatif qui serait mis en place intègre TOUS les retards de manière EXHAUSTIVE, EXACTE et NON CONTESTÉE.
Exhaustive car, sans cela, le fichier ne réduit pas le risque d'oubli ou d'omission, qui peut intervenir lors d'entretiens avec le client lui-même, ce qui, dès lors, réduirait d'autant sa pertinence.
Exacte, sans quoi son usage pourrait produire plus de dommages que d’effets bénéfiques.
Non contestée, car si tel n'était pas le cas, son enregistrement pourrait être interprété de manière erronée par les utilisateurs.
Dans ces conditions (idéales), qui, il faut bien s'en rendre compte, impliquent une gestion stricte et une méthodologie pointue et coûteuse, la consultation du fichier permettra d'apprendre :
- l'existence éventuelle d'une dette ;
- le montant de cette dette ;
- la date d'enregistrement de la dette1
Ce que l'on n'apprend a priori pas :
- la cause du retard de paiement ;
- les modalités de recouvrement mises en œuvre ;
- le montant actualisé de la dette ;
- l'existence d'un accord sur un plan de remboursement ;
- le montant mensuel résultant le cas échéant d'un plan de remboursement ;
- la capacité de remboursement en général, et de cette dette en particulier, qui se dégage du budget du ménage.
Quand on analyse cette énumération, il apparaît que l'avantage essentiel d'un fichier négatif adéquatement géré réside donc dans la certitude de l'information quant à l'existence de la dette et de son montant au moment de l'enregistrement.
Cette information peut en effet échapper, quand bien même un entretien est organisé par le prêteur. Le fichier négatif lève donc avant tout une incertitude et son existence pousse le client à la transparence et/ou évite au prêteur la nécessité d'une rencontre pour obtenir une information de qualité, ce qui joue très favorablement sur la rentabilité d'un crédit.
L'existence d'une dette est donc un simple indicateur d'un éventuel problème de solvabilité au moment de la consultation ou le temps que dure la désinscription après la régularisation. Elle n'apprend rien de plus.
L'existence d'un fichier bien géré garantit la qualité de l'information.
Élargissement programmé : fichier central des saisies...
Pourquoi créer un fichier central ?
On relève, dans l'exposé des motifs du projet de loi prévoyant l'établissement d'un fichier central des saisies, la recherche d'une meilleure qualité de la publicité qui est essentielle dans la pratique judiciaire, puisqu’aucune saisie-exécution, aucune procédure de répartition ne peuvent être diligentées sans consultation préalable des avis de saisie, de délégation et de cession par l'officier ministériel. Cette publicité permet d'obtenir une meilleure information concernant le patrimoine du débiteur et réduira les risques d'erreur liés à l'actuel classement et traitement manuel de l'information sur des fiches disponibles dans les greffes d'arrondissement. Cette décentralisation par arrondissement est par ailleurs dommageable, en particulier au regard des contraintes liées au règlement collectif de dettes, qui prévoit que leshuissiers et les notaires doivent disposer des informations actualisées.
Le fichier devrait permettre de :
- renforcer le caractère unique de toute procédure d'exécution forcée et réduire ainsi le risque des saisies répétées et inutiles qui alourdissent les frais à charge du débiteur ;
- rationaliser les procédures et les coûts de gestion et alléger le travail des greffes ;
- informer plus adéquatement les créanciers de l'évolution de la situation ;
- constituer un instrument de mesure de la situation passive du débiteur surendetté et permettre la recherche et la mise au point de solutions alternatives au droit de l'exécution forcée.
Brève présentation :
La loi du 29 mai 2000 prévoit donc la création d'un fichier central des avis de saisie, de délégation, de cession et de règlement collectif de dettes et en confie la responsabilité du traitement à la Chambre nationale des huissiers de justice.
Un Comité de gestion et de surveillance sera chargé principalement de veiller et de contribuer au fonctionnement efficace et sûr du fichier central. Ce comité est composé de divers représentants du ministre de la Justice, de la BNB, de l'Ordre national des avocats, du Collège des présidents des chambres arrondissementales des notaires, de la Chambre nationale des huissiers, du Conseil de l'Institut des réviseurs d'entreprises et d'un membre de la Commission de la protection de la vie privée.
Le Comité fera rapport annuellement quant à l'exécution de ses missions et formulera des suggestions relatives à l'opportunité de modifier le système de publicité mis en place au moyen du fichier des avis. Il est le garant du respect du bon usage du fichier par les personnes y ayant accès.
L'enregistrement s'opérera sans frais. En revanche, une redevance sera perçue lors de la consultation du fichier par les avocats, les huissiers, les notaires et les médiateurs de dettes afin d'en couvrir les frais de fonctionnement.
Qu'enregistre-t-on ?
Un avis est communiqué lorsque :
- est transcrit un commandement préalable à une saisie-exécution immobilière ;
- est pratiquée une saisie de biens meubles ou immeubles ;
- est rédigé un constat de carence ;
- est accordée une délégation de somme ;
- sur la base d'une attestation du cessionnaire établissant l'existence de l'arriéré de paiement, sont mises en oeuvre une cession de rémunération ou une cession de sommes ;
- est prononcée la décision d'admissibilité d'un règlement collectif de dettes.
L'avis n'est donc pas communiqué uniquement par un huissier (greffier, avocat, notaire, médiateur), et les informations qu'on y trouve concernent à la fois l'identité et les coordonnées des personnes en présence, la nature de la (des) créance(s) concernée(s), le lieu et la date des décisions...
Des délais spécifiques sont prévus afin de garantir une mise à jour suffisante du fichier lorsque les décisions ont été prises (généralement, le délai maximum est de trois jours ouvrables).
Pour quelle durée ?
Les avis sont conservés dans le fichier pendant un délai de trois ans à compter de l'évènement qui y a donné lieu, sans préjudice, s'il échet, de la radiation préalable de l’avis, soit à l'initiative des personnes visées à l'article 1391 au §1er (avocats, notaires, médiateurs de dettes, juges des saisies et greffier) en cas de paiement, soit amiablement, soit par décision du juge. Ils sont périmés de plein droit à l'expiration de ce délai à moins que, dix jours au plus tard avant cette expiration, un avis de suspension ou de renouvellement n'ait été adressé au fichier des avis en spécifiant le motif de la suspension ou du renouvellement.
Le Roi détermine :
- les modalités d'envoi des avis ;
- la durée de conservation des avis de saisie, délégation, cession et règlement collectif de dettes après leur effacement du fichier des avis.Qui peut y accéder et comment ?
Qui peut y accéder?
Les personnes physiques qui peuvent directement enregistrer, consulter, modifier, traiter ou détruire les données du fichier des avis sont désignées nominativement dans un registre informatisé constamment tenu à jour par la Chambre nationale des huissiers.
La loi prévoit une consultation possible par :
- les avocats, à l'intervention de l'Ordre national des avocats ou au greffe du Tribunal de première instance ;
- les huissiers de justice et les receveurs de l'Administration des Contributions directes et de l'Administration de la T.V.A., de l'Enregistrement et des Domaines chargés de diligenter une procédure de recouvrement au fond ou par voie de saisie contre une personne déterminée ;
- les notaires, à l'intervention de la Fédération royale des notaires de Belgique. Ces derniers sont autorisés à consulter les avis établis au nom des personnes dont les biens doivent faire l'objet d'un acte relevant de leur ministère ;
- les médiateurs de dettes peuvent prendre connaissance, pour l'accomplissement de leurs missions légales, des avis établis au nom du requérant débiteur et au nom des personnes qui partagent une communauté ou une indivision avec lui. La consultation s'opère pour les avocats, huissiers de justice et notaires selon les modalités déterminées dans les alignes précédentes, et pour les autres, à l'intervention du greffe du Tribunal de première instance concerné ;
- les juges des saisies et les greffiers peuvent également consulter pour l'accomplissement de leurs missions légales.
L'accès est conditionné par la possession de codes individuels d'accès, pour leur usage exclusif. Toute demande nécessite de manière systématique, pour être recevable, l'identification du requérant, l'identification précise de la personne sur laquelle porte la consultation ainsi que l'objet de la demande.
Par ailleurs, toutes les personnes enregistrées dans ce fichier disposent d'un droit d'accès et d'un droit de rectification.
Durée de conservation des données
Il est prévu dans l'A.R. que les avis sont conservés trois ans, sauf demande de radiation qui suit le paiement. Il serait souhaitable d'assurer qu’à l'avenir, dans leurs pratiques, les personnes visées à l'article 1391 demandent une radiation systématique de l'avis dès que la dette est remboursée, sans quoi le maintien du fichage risque de donner aux prêteurs une image erronée de la situation et pourrait dès lors réduire l'accès au crédit.
Quel accès pour les prêteurs ?
Si l'on se réfère à l'avis du Conseil de la consommation2, les données qui seraient disponibles pour les prêteurs, sur la base du principe de pertinence, sont :
- l'existence d'une saisie, d'une délégation ou d'une cession de rémunération ;
- le montant faisant l'objet de l'avis enregistré ;
- la date de l'avis.
La loi prévoit que le Roi détermine les données qui peuvent être consultées.
Il se dégage de l'avis susmentionné que cet accès, pour être efficace, doit pouvoir être réalisé à un coût très faible pour les prêteurs, et se faire lors de la consultation du fichier de la CCP.
Au vu de la loi relative à la Centrale des crédits aux particuliers3, art. 10, la Banque nationale est habilitée à interroger pour compte des prêteurs le fichier des avis de saisie, de délégation, de cession et de règlement collectif de dettes.
Que penser de l'accès de ce fichier aux prêteurs ?
Le fichier central des avis, en soi, apportera une sensible amélioration de la publicité des actes relatifs à des recouvrements de créances, et rendra plus efficace le travail des professionnels intervenant dans ces procédures.
L'accès à un tel fichier par les prêteurs permettra à ces derniers de disposer d'une information supplémentaire quant à l'existence de procédures de recouvrement en cours. Ce fichier constitue une avancée, car il est probable que le candidat emprunteur en situation difficile ne dévoilera pas spontanément ce type d'information. En outre, aucun document ne peut être sollicité par le prêteur afin de vérifier la véracité des déclarations du consommateurs sur ces points.
La manière dont cette information sera traitée et interprétée par les dispensateurs de crédit devrait logiquement aboutir soit à un refus pur et simple, soit à une investigation supplémentaire, afin d'éclaircir ou de mettre à jour la situation financière du client. En quoi cette dette passée impacte-t-elle à ce jour la capacité financière, de quelle manière le plan d'apurement est mis en oeuvre ? La fiabilité de ce client est-elle réellement remise en cause ?
Cela peut-il réduire les risques de défaut de paiement en matière de crédit ?
Oui. Compte tenu de la nature de l'information collectée, il est vraisemblable que, grâce à ce fichier, le filtre mis en place par les prêteurs entraînera une réduction du nombre des crédits qui sont encore aujourd'hui octroyés à des personnes qui se trouvent déjà en difficulté financière. Ceci représente donc un potentiel pas en avant en matière de prévention.
À quelle condition ?
La consultation, comme l'avis du Conseil de la consommation l'envisage, devrait se faire dans la phase précontractuelle, et de façon automatique, en même temps que la consultation du fichier de la CCP.
Cela peut-il nuire à un accès approprié au crédit ?
Il n'est pas possible de déterminer a priori si une telle mesure provoquera une exclusion au crédit qui ne serait pas légitime, c'est-à-dire pas en lien avec la capacité de remboursement. Le risque existe réellement puisque, comme nous l'avons souligné en début d'analyse, les dettes passées n'informent pas véritablement sur la capacité budgétaire future d'une personne ou d'un ménage. Il informe plus du risque que de la capacité de remboursement.
En guise de conclusion provisoire
Les fichiers négatifs sont les enfants chéris des prêteurs : ils y trouvent une information prête à traiter, accessible instantanément, de qualité, ce qui permet à nombre d'entre eux d'éviter une rencontre physique avec l'emprunteur. À cela s'ajoute le fait remarquable de ne pas remettre en question le modèle d'analyse risque développé par l'industrie, le credit-scoring.
Bien que ces fichiers négatifs ne constituent pas une analyse budgétaire, ils sont utilisés pour réduire le risque de prêt à de mauvais payeurs avérés, et, en cela, le fichier des saisies n'est pas le pire que l'on puisse imaginer. Les dettes sont avérées, quelle que soit leur nature (pas de sélection sectorielle), et l'information mise ainsi à disposition n'est pas autrement accessible.
Dans la mesure où le fichier central est d'ores et déjà légalement programmé, que sa mise en place opérationnelle, même si elle tarde, devrait finir par voir le jour... il serait contre-productif de ne pas permettre aux prêteurs d'y accéder...
Charge au régulateur de prévoir l'évaluation de cette disposition après quelques années.
Olivier Jérusalmy - Juin 2009
1 En fonction des règles de gestion du fichier, l'enregistrement d'un retard de paiement fera l'objet d'un enregistrement dans un délai maximum établit, plus le délai est réduit, plus le fichier est efficace.
2 Relatif à un avant-projet de loi « portant sur la création d'un fichier central des avis de saisie, de délégation et de cession et modifiant certaines dispositions du Code judiciaire » - Bruxelles, le 4 novembre 1998.
3 Loi du 10 août 2001