Fiscalité égalité sécurité

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03/2014
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Auteur(s): 

Editeur: 

Réseau Financité, (ex- Réseau Financement Alternatif)

Type de document: 

En Belgique, la fiscalité encourage l'épargne mais pas chez tout le monde. La mise en place d'un incitant public plus équitable est possible.

En bref

  • L'exonération fiscale profite aux classes aisées.
  • Un crédit d’impôt est une mesure plus juste.

Les Belges font partie des meilleurs épargnants européens. Au vu des taux pratiqués par les banques sur les comptes d’épargne, y-a-t-il pourtant vraiment un intérêt à mettre son argent de côté ? Oui ! En Belgique, tout citoyen a l’as-
surance de voir ses dépôts en banque garantis à hauteur de 100 000 euros. Certains (pas tous !) profitent également d’incitants fiscaux. Parmi ces encouragements, l’exonération de précompte mobilier sur le compte d’épargne
est le plus connu et le plus chéri... par ceux qui en bénéficient.
À la base, l’exonération fiscale était motivée par le souhait de favoriser la « petite épargne ». Mais, force est de constater qu’elle n’encourage pas l'ensemble de la population à mettre de l’argent de côté. D'une part, en ignorant souvent l'existence des personnes à bas revenus et, d'autre part, elle est loin d’être une mesure redistributive. L’exonération fiscale serait même, au contraire, une source d’iniquité devant l’épargne : via cette pratique, un compte d'épargne s'avère en effet, d'autant plus attrayant que l'on dispose de revenus élevés.

L’exonération fiscale, c’est quoi ?

En Belgique, lorsque vous placez votre argent sur un carnet d’épargne réglementé, vous ne payez pas d’impôt sur les intérêts versés annuellement par votre banque, et ce, jusqu’à un plafond de 1900 euros2. En pratique, cela veut dire que si vous avez déposé une somme inférieure à 190 000 euros sur votre carnet d’épargne et que vous bénéficiez d’un taux
d’intérêt annuel de 1 %, vous serez exonéré d’impôts sur vos intérêts perçus chaque année3.

Une mesure inéquitable

Trois aspects majeurs montrent que l'exonération fiscale ne touche pas tout le monde de la même manière.
Premièrement, les personnes disposant de revenus inférieurs au minimum imposable, soit les couches les plus vulnérables de la population, ne sont pas le moins du monde concernées par cet avantage ! À l'inverse, les Belges disposant de revenus supérieurs au minimum imposable sont incités à placer leur argent sur un compte d’épargne réglementé.
Pourtant, l’exonération a un coût certain pour l’État fédéral : en 2012, il était estimé à 461,77 millions d'euros4.
Deuxièmement, la fraude est en quelque sorte encouragée en la matière. Les citoyens belges disposent, en effet, souvent de plusieurs comptes d’épargne, qui peuvent être ouverts dans différentes banques5. Si vous vous trouvez dans ce cas de figure et que le total des intérêts que vous percevez est supérieur au plafond des 1900 euros, vous devriez faire preuve de virtuosité et le signaler vous-même au fisc, a posteriori, car l'exonération est appliquée automatiquement par les banques dans lesquelles se trouvent vos comptes d'épargne... Un procédé absurde tant il pousse à profiter des failles du système !
Enfin, certains contribuables bénéficient d'un second cadeau fiscal : le précompte de 15 % appliqué sur les revenus additionnels de l'épargne (au-delà des 1900 euros d’intérêts) est libératoire. En d'autres mots, le précompte
mobilier est directement prélevé sur les intérêts par la banque (à un taux de 15 %) et ces revenus ne doivent pas être mentionnés dans la déclaration d'impôts. Or, si ces derniers devaient être déclarés, ils seraient ajoutés à l'ensemble des revenus et donc taxés au taux marginal d'imposition6, soit entre 25 et 50 % !
Par conséquent, plus les revenus sont élevés (plus le taux d'imposition est élevé) et plus le précompte mobilier libératoire de 15 % est avantageux.

Distribution vs réduction

Pour le Réseau Financité, une mesure visant à encourager les citoyens à épargner est une bonne mesure si elle profite à tous ! Elle ne peut exclure les personnes à faibles revenus, d'autant que ce sont eux qui ont le plus besoin d'une épargne. Un constat : le taux d’épargne varie en fonction des revenus. Les ménages ayant les revenus les plus bas ont aussi une épargne négative, ce qui signifie que, en moyenne, ils dépensent plus qu’ils ne gagnent et s’endettent ou consomment de
l’épargne constituée précédemment (lorsqu’il s’agit de ménages âgés)7. À l’opposé, les revenus les plus aisés ont un taux d’épargne dépassant 20 % de leur revenu disponible. Face à ce constat, l’incitant fiscal devrait être repensé dans une logique plus équitable : un crédit d’impôt est l’une des options à privilégier. Qu'est ce que cela veut dire ? Aujourd'hui, le double système de l'exonération de précompte mobilier et du précompte mobilier libératoire est un véritable cadeau offert aux plus hauts revenus ! Si votre compte d'épargne vous offre 100 euros d'intérêt, cela vous permettra d'éviter de payer
50 euros d'impôt si vous avez de bons revenus mais il ne vous offrira aucun avantage si ceux-ci sont faibles... Vous avez bien lu, non seulement les personnes à faibles revenus ont moins de possibilités d'épargner – on ne fait pas saigner une pierre – mais l'incitant public leur est, en plus, moins favorable !
Avec le crédit d'impôt, il en va différemment : les ménages ayant les revenus les plus bas ont toujours autant de mal à épargner mais, au moins, ils ne sont plus discriminés et leur effort d'épargne est récompensé. Tout le monde est en effet mis sur le même pied: si votre compte d'épargne vous offre 100 euros d'intérêt, cette somme s'ajoutera à vos autres revenus et vous serez taxé en fonction de l'ensemble de ceux-ci. L'incitant, le crédit d'impôt, l'équité est rétablie. S'il est de 25 %, 25 euros seront déduits de vos impôts mais, si vous n'en payez pas, l’État vous versera ces 25 euros. Une étape supplémentaire pourrait être une discrimination positive en faveur des moins favorisés comme cela existe en France avec le Livret d'épargne populaire (LEP) qui offre d'une majoration d'intérêts en faveur des personnes les plus modestes (voir
encadré).

Un coût supplémentaire pour l’État ?

Pas forcément ! Les seuls coûts additionnels à l’exonération fiscale actuellement en place seraient dû au remboursement fait aux personnes non imposables, mais, du même coup, les économies faites grâce à la suppression de la fraude seraient sans doute bien plus importantes. De plus, rééquilibrer l’incitant fiscal à l’épargne en tenant compte des revenus faibles aura sans doute des effets positifs au niveau de l’économie réelle : il sera plus facilement réinvesti dans les circuits de consommation courts et nationaux.

1. D'après deux analyses d'A. Marchand, Fiscalité de l'épargne : des sources d'inéquité (1) et des pistes d'amélioration (2), RF, Déc. 2013.
2. Ce plafond est indexé annuellement. En 2014, il est fixé à 1900 euros.
3. Selon le cabinet des Finances, 98 % des détenteurs de compte d’épargne n’atteignent pas le plafond des 1900 euros d’intérêts.
4. Service public fédéral Finances, « Inventaires des dépenses fiscales fédérales », 2013.
5. Le nombre de comptes d'épargne réglementés recensés en Belgique est de 19,3 millions en 2012, soit 1,74 compte par habitant en moyenne.
6. Taux applicable à la tranche supérieure des revenus.
7. Philippe LEDENT, « Le Belge face à l'épargne (1/2) », Focus on the Belgian economy, novembre 2009.

3 questions à Tanguy Isaac, Docteur en économie et professeur invité à l'UCL

L'épargne des belges est conséquente par rapport à celle de nos voisins. Pourquoi selon vous ?

C'est en grande partie une question culturelle. Pour donner un exemple simple, en France, les gens sont beaucoup moins attachés à leur maison mais c'est parce que beaucoup sont susceptibles de devoir déménager dans une autre ville. Chez nous, le problème ne se pose pas vraiment. Hé bien en Belgique, nous avons une véritable tradition de l'épargne, ce qui en fait bien un véritable enjeu politique, et ainsi de suite.

En Belgique, de nombreux incitants fiscaux à l'épargne ont été mis en place...équitablement ?

La première question à se poser est : pourquoi veut-on favoriser l'épargne et quel type d'épargne veut-on favoriser ? Prenons l'exemple de l'épargne pension, elle est chez nous encouragée fiscalement. L’État dépense donc de l'argent pour garantir les pensions futures mais en même temps détricote le premier pilier des pensions1. La question de l'utilité de cet incitant est donc réellement à poser ! Et puis, la plupart des incitants fiscaux sont des déductions fiscales qui ne fonctionnent donc que si l'on paie un certain niveau d'impôt.

Quid alors des personnes qui ne paient pas d'impôts ? Ces personnes là sont pourtant en toute logique les plus vulnérables.

J'ai beau y réfléchir, d'un point de vue économique bien sûr, je ne vois pas pourquoi l'on passe systématiquement par un système de déduction. On peut y voir une raison politique car les incitants en place permettent de favoriser un certain type de population, plus sensible à ces thèmes durant les élections, cela permet donc d'annoncer un cadeau de l’État relativement généreux. Relativement généreux parce qu'en réalité, on a exclu toute une partie de la population. Si on devait par exemple mettre en place un crédit d'impôt, l'avantage serait potentiellement plus faible par personne, mais plus équitable entre les personnes pour le même coup. Encore une fois la question du type d'épargne à favoriser revient. En favorisant ceux qui épargnent déjà, on peut imaginer que le but n'est pas qu'une personne puisse épargner mais d'augmenter l'épargne en général. Les bons d’État, entre autres, mobilisent l'épargne directement au profit de l’État sans passer par l'intermédiaire du marché. Dans cette logique là, l'objectif premier de l'épargne n'est pas du tout le bien être de la personne, on favorise l'épargne pour la réorienter. L'autre manière de rationaliser c'est de se dire que ceux qui décident ces lois sont des gens qui sont d'un certain niveau social et que de toute manière, c'est un peu une logique de classe, on favorise celle à laquelle on appartient. Cette rationalité là ne peut pas être totalement exclue non plus.

 

1 Le premier pilier est celui de la pension légale. Cette pension, organisée par les autorités, comporte 2 régimes distincts : celui des salariés et celui des indépendants.

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