Hypothèque inversée : du crédit à la consommation garanti par une hypothèque ?

09/2007
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Auteur(s): 

Editeur: 

Réseau Financité, (ex- Réseau Financement Alternatif)

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Effet d'annonce ou projet réel, depuis quelques mois, l'industrie du crédit réfléchit aux conditions de mise en oeuvre de ce nouveau type de crédit en Belgique. De quoi s'agit-il ? À qui ce type de crédit s'adresse-t-il? Quels dangers recèle-t-il ? Éléments de réponses

Contexte politique et social

Peu après une annonce du ministre de l'Économie, dans laquelle ce dernier a présenté l'hypothèque inversée comme pouvant répondre à un besoin réel en raison du vieillissement de la population, des représentants de l'industrie du crédit ont notamment réagi en organisant le 8 mai 2007, via le Forum financier belge, un colloque sur « le crédit logement inversé ». En juin, l'Union professionnelle du crédit éditait un feuillet d'information sur ce thème1, envisageant les adaptations nécessaires du cadre légal pour son introduction en Belgique.

A priori, en effet, compte tenu de certains traits de la société belge, ce type de produit pourrait rencontrer les besoins d'un public précis : les personnes âgées, propriétairesà tout le moins de leur logement, qui souhaitent continuer d'y vivre et dont le pouvoir d'achat est insuffisant pour couvrir leurs besoins courants.

Principales caractéristiques

Sous des vocables variés « crédit-logement inversé », « prêt viager hypothécaire », « hypothèque inversée »2, se cache un produit financier dont les caractéristiques principales procurent au client :

  • la disposition d'une somme d'argent, en un versement ou sous la forme éventuelle d'une rente ;
  • le maintien de son droit de propriété sur l'immeuble, en ce compris le droit de jouissance, pour autant qu'il y ait eu constitution d'une hypothèque ;
  • la possibilité de lier généralement le remboursement du crédit à la survenance d'un événement particulier, le décès ou la vente de l'immeuble.

La mise à disposition d'une somme d'argent pourra prendre des formes variées :

  • montant versé en une fois ;
  • montant versé sous la forme de versements réguliers pendant une période déterminée, dont la fréquence sera le plus souvent mensuelle.

Une variante de cette formule est également possible lorsque la durée n'est pas prédéterminée, mais correspond à la période d'occupation effective de l'immeuble hypothéqué (en anglais « tenure »);

  • montant versé à la demande (à l'instar d'une ouverture de crédit), à concurrence du montant maximum prédéterminé.

En matière de remboursement, ce crédit peut prévoir que le montant emprunté et le coût du crédit deviennent exigibles soit :

  • au moment du décès ou de la vente de l'immeuble hypothéqué (le contrat est alors à durée indéterminée) ;
  • au terme d'un certain délai déterminé contractuellement (20 - 25 ans, contrat à durée déterminée).

Conditions envisagées par l'Union professionnelle du crédit (UPC)3

  • Puisque le remboursement du montant prêté et le paiement du coût du crédit seront a priori couverts par la réalisation de l'immeuble, l'analyse de solvabilité du client n'a pas d'importance (principe de capitalisation des intérêts). Dès lors, plus jeune sera le senior, moins grand sera le capital.
  • Une inscription hypothécaire en premier rang est prise sur le bien immobilier pour la valeur entière du bien immobilier (résidence habituelle / autre habitation).
  • L'emprunteur agit exclusivement/principalement dans un but pouvant être considéré comme étranger à ses activités commerciales, professionnelles ou artisanales.
  • Mentions particulières dans l'offre de crédit – Ajout d'un tableau illustratif de libération des fonds (évolution de l'augmentation de la dette sur une période forfaitaire de 20 ans).
  • L'emprunteur, qui a accepté l'offre de crédit avant la passation de l'acte, a le droit de renoncer au contrat de crédit jusqu'à la passation de l'acte.
  • Un expert indépendant évalue la valeur du bien immobilier.
  • Conseil indépendant par le notaire préalablement à la passation de l'acte (Loi Ventôse). Les héritiers peuvent y être associés.
  • Compensation dans les cas où l'emprunteur reste en défaut de prélever le capital.
  • Indemnité de remploi spécifique dans la mesure où il y a plus d'interventions, de contrôles et d'estimations dont l'emprunteur pourrait déroger.
  • L'emprunteur a l'obligation d'entretenir soigneusement le bien immobilier grevé d'une hypothèque et de le traiter en bon père de famille, afin que la valeur du bien immobilier évolue normalement (contrôle périodique par l'expert). La prime d'assurance d'incendie et l'impôt sur l'immobilier doivent être payés à temps.
  • À la fin du crédit, un choix s'impose. Soit la famille veut garder le bien et elle paye la dette finale du crédit (qui sera toujours plafonnée à la valeur de la maison). Soit la dette finale n'est pas payée et la maison est vendue. Si la vente rapporte plus que la dette finale, le surplus reviendra à la famille.

Les éléments positifs

Par rapport à une vente viagère :

Pour les personnes qui envisagent une vente viagère, la formule présente une série d'avantages non négligeables :

  • maintien du droit de propriété : en cas de décès prématuré, seuls le montant réellement prélevé et les intérêts échus sont redevables. Les héritiers peuvent les prendre en charge sans devoir obligatoirement mettre en vente l'immeuble hypothéqué ;
  • la formule viagère ne prévoit qu'une seule modalité de versement du montant : un montant déterminé versé périodiquement;
  • la rente viagère est généralement moins élevée lorsque le vendeur souhaite continuer à occuper le logement.

C'est très probablement dans ces circonstances particulières (alternative à la vente viagère) que le produit semble le plus pertinent.

En complément du pouvoir d'achat des seniors :

Compte tenu des évolutions démographiques, du prolongement de l'espérance de vie, des coûts croissants de certains soins de santé et d'un système de pension fragile dans ces circonstances, le public potentiel existera réellement. Ce crédit pourrait sensiblement améliorer le quotidien de certains seniors à moins que des solutions politiques soient trouvées pour maintenir un pouvoir d'achat raisonnable et un accès peu coûteux aux soins de santé.

En outre, face à une réduction du niveau général des solidarités intergénérationnelles, qui s'explique à la fois par un changement dans les relations et les mentalités, mais aussi parfois à cause de la réduction du pouvoir d'achat des plus jeunes. Ce type de crédit permet de compenser l'absence de transferts de fonds intrafamiliaux des plus jeunes vers les plus âgés par une réduction du volume du patrimoine transmis des plus âgés vers leurs héritiers.

Une conjoncture économique favorable4

  • Les taux élevés de propriétaires occupants5 : dans un nombre croissant de pays, et, en particulier, dans le nôtre, la part de la population propriétaire de sa résidence dans la population totale est particulièrement élevée.
  • Le marché immobilier en forte croissance6 : la valeur des biens immobiliers s’est accrue de manière importante et cette plus-value tend à se maintenir7.
  • Les taux d’intérêt faibles : la conjoncture est basse depuis de nombreuses années et les taux auxquels sont consentis les prêts destinés à financer le logement sont inférieurs à ceux appliqués aux autres formes de crédit à la consommation.

Les questions pendantes...

Aspects légaux

Si le crédit envisagé prend la forme d'une ouverture de crédit à durée indéterminée, l'hypothèque peut être affectée à la garantie des dettes futures (les montants prélevés) : sur cet aspect, il ne semble pas que la loi belge s'oppose à sa mise en oeuvre.

Mais la question de savoir si ce crédit relèvera de la loi relative au crédit à la consommation ou plutôt à celle du crédit hypothécaire reste ouverte. Comment qualifier un crédit dont la finalité première est la consommation quotidienne ? Les cas où ce type de crédit sera utilisé pour rénover ou transformer l'immeuble hypothéqué soulèvent évidemment moins la question.

Aspects socio-économiques

On peut aussi s'interroger sur les bienfaits d'un crédit consommation qui s'octroie « sur garantie », compte tenu de l'impact que cela peut avoir sur la transmission patrimoniale. Cela peut être source de tensions familiales et il serait utile d'envisager les modalités de publicité à l'attention des héritiers.

Les éléments positifs du contexte économique précédemment cités ne sont pas éternels : l'accès à la propriété (coût / financement / pouvoir d'achat) sera-t-il dans le futur aussi bon qu'il l'a été par le passé ? Si, jusqu'ici, la classe moyenne a pu accéder largement à la propriété, sera-ce encore le cas pour les générations futures ? Il serait nécessaire de vérifier qu'un tel produit ne favorise pas à long terme l'appauvrissement net des familles aux revenus modestes.

Dans certaines circonstances, en effet, il existe également un risque de surendettement de l'emprunteur ou de ses héritiers. On constate en effet dans les pays où ce type de crédit est commercialisé (États-Unis, Royaume-Uni ...) que les emprunteurs sont de plus en plus jeunes. Dès lors, la période sur laquelle le coût du crédit se calcule est plus grande et majore d'autant ce dernier. Si, dans le même temps, la valeur du bien hypothéqué n'a pas évolué aussi favorablement (marché immobilier, niveau d'entretien du bien, performance énergétique), il est possible que la valeur vénale du bien soit inférieure aux remboursements à opérer, et puisse être source de difficultés financières pour les héritiers... Inutile de rappeler que ces circonstances ont présidé à certains des drames sociaux générés par la crise des sub-primes.

La stabilité des taux d'intérêt faibles ou encore la croissance du marché immobilier sont quant à eux beaucoup plus volatiles encore...

Conclusion - recommandations

L'apparition d'un tel produit sur le marché n'est donc pas anodine et mérite à tout le moins un encadrement adapté.

Afin d'éviter les risques de surendettement évoqués, une mesure déjà en vigueur aux États-Unis permet notamment de limiter la créance résultant du crédit, soit à la valeur vénale, soit au produit de la vente du bien hypothéqué. Dans ces cas, les dettes nées du crédit s'éteignent en toute hypothèse à la vente de l'immeuble.

Il est également possible d'aller plus loin en envisageant de limiter le montant emprunté à maximum 50 % de la valeur vénale. Dans cette configuration, on ménage à la fois la possibilité d'améliorer son pouvoir d'achat sans compromettre toute transmission patrimoniale : une voie intermédiaire, donc.

Le plus inquiétant dans la proposition de l'UPC est la volonté manifestée, pour mettre en oeuvre le produit imaginé, de lever l'interdiction de capitalisation des intérêts. Le cadre légal actuel s'y oppose8, et les conditions dans lesquelles elle peut s'opérer sont définies par l'article 1154 du Code civil (elles relèvent de l'ordre public économique). Il est fondamental que les intérêts ne puissent être calculés que sur le capital prélevé, sans souffrir aucune forme d'exception telle que la capitalisation des intérêts débiteurs. Ceci impacterait gravement la protection du consommateur telle qu'elle existe à ce jour et rendrait complexes la compréhension et la comparaison du coût du crédit.

Enfin, nous retiendrons comme bonne pratique le passage prévu des candidats clients9 devant un service-conseil professionnel et indépendant (type ASBL) afin que leur soient présentés les avantages et inconvénients de la formule ainsi que des simulations adaptées à leur situation personnelle.

1 « Le crédit-logement inversé », Union professionnelle du crédit, 2007

http://www.upc-bvk.be/documents/public/Cr%C3%A9ditlogement%20invers%C3%A9%20(feuillet%20d'information)%20v3.pdf

2 Cette dernière dénomination est calquée sur le terme anglais « reverse mortgage »

3 Op. cit.

4 « Le prêt viager hypothécaire:analyses et réflexions », Échos du Crédit et de l'Endettement, nº 14,

5 Taux de ménages propriétaires : 74,4 %; sans prêt à rembourser : 37,5 %; avec prêt à rembourser : 36,9 %. Source : DG Statistique et information économique – Enquête sur le budget des ménages 97/98.

6 Entre 2000 et 2006, le prix de vente moyen des maisons d’habitation ordinaire a augmenté de plus de 86 %, alors que celui des appartements a augmenté de plus de 75 %. Source : DG Statistique et information économique

7 Si elle venait à se résorber, voire si la valeur des biens immobiliers tendait à diminuer, la vente viagère pourrait davantage tenter les consommateurs âgés.

8 Art. 10 de la loi du 4 août 1992 et l'art. 14, §2, 5ème alinéa, de la loi du 12 juin 1991.

9 « Le prêt viager hypothécaire ou hypothèque inversée : une solution au financement des retraites et de la dépendance? » ,mémoire de T. Dubocage – promotion 2005 CHEA, p. 7

lien : http://www.silverlife-institute.com/uploaded_files/docs/rapportreversefr_1137753264.pdf

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