La banque de base
La valeur boursière du secteur bancaire a fondu de 5.500 milliards de dollars (4.059 milliards d'euros) avec la crise financière, soit 10 % du PIB mondial, selon un rapport du Boston Consulting Group. L'industrie bancaire a vu son poids en Bourse passer de 8.800 milliards de dollars au troisième trimestre 2007 à 4.000 milliards à la fin de 2008, selon un calcul de ce cabinet de conseil, auquel s'ajoute une perte de 700 milliards de dollars lors des trois premières semaines de 2009(1). Est-ce à dire qu'il faut reconsidérer le modèle bancaire ? Et en inventer de nouveaux ? Ou en réinventer, tant il est vrai que ce sont dans les vieilles casseroles...
L'épargne et le crédit
En Suisse, pays emblématique s'il en est d'une certaine conception de la finance..., chez les Helvètes donc, il y a Migros, le numéro un de la grande distribution, qui développe une activité financière avec un certain succès. Qu'on en juge : les dépôts ont bondi l'an passé de 1,7 à 15,8 milliards d'euros. L'arme secrète de Migros ? Pas de salaires faramineux pour les membres de la direction et, surtout, une politique financière de base : l'argent des épargnants ne sert, grosso modo, qu'à fournir des crédits à bas coûts aux consommateurs des magasins Migros(2).
Le Belge, selon une enquête menée par ING auprès d’un groupe cible, accorde une grande importance à la liquidité de son épargne, c'est-à-dire la faculté de pouvoir en disposer à tout moment. Par ailleurs, ses connaissances relatives aux produits d’épargne et aux meilleures façons d’épargner sont relativement vagues. D'où la nécessité de privilégier un produit simple : le bon vieux compte d'épargne. Mais pas n'importe comment ! L'enquête révèle en effet que les gens veulent savoir ce que les banques font de leur argent, comment elles l’utilisent. Elle montre enfin que les Belges veulent une relation personnelle avec leur banque, ce qui avantage les banques à réseau par rapport aux banques en ligne(3).
Par ailleurs, deux personnes sur trois pensent qu’il serait utile que l'État recrée une grande banque publique. C'est ce qu'indique le baromètre trimestriel de La Libre Belgique qui a sondé les Belges au sujet de la crise financière(4).
Un modèle simple, sûr et responsable
Face à ces attentes citoyennes, il est légitime de se demander si le modèle bancaire qui est actuellement en vigueur en Belgique et qui a été particulièrement perméable à la crise financière ne doit pas être amélioré. Ou tout au moins s'il ne faut pas réserver à un modèle bancaire amélioré les incitants publics en faveur du secteur bancaire que sont, par exemple, la protection des dépôts et des instruments financiers portée, pour un an, de 20.000 à 100.000 €, et l'exonération de précompte mobilier pour les personnes physiques résidant en Belgique sur la première tranche de 1.600 € d'intérêts sur un compte d'épargne.
Un parallèle peut être fait avec l'industrie pharmaceutique où, pour schématiser, il existe trois types de médicaments : ceux qu'il est interdit de mettre en vente, ceux qu'il est autorisé de vendre, mais qui ne donnent droit à aucun remboursement pour le patient, et ceux, enfin, qui peuvent être vendus et dont le prix est partiellement remboursé. Pour ce qui concerne le secteur financier, tout le monde s'accorde à dire qu'une plus grande régulation est indispensable pour interdire certaines pratiques particulièrement nuisibles comme vient de nous le montrer la crise financière. Mais au-delà de ces interdictions, sans doute est-il justifié de réserver les incitants publics à des banques qui sont structurellement organisées pour répondre à des objectifs d'intérêt général.
Un argument en faveur de cette solution réside dans le fait que, comme nous le montre clairement l'actualité de ces derniers mois, l'État belge ne dispose pas des moyens nécessaires pour couvrir les risques de toutes les banques qui se trouvent sur son territoire et qui ont des activités largement internationales et tournées vers le métier de banque d'affaires. Il s'agirait dès lors de réserver prioritairement les moyens publics à celles qui répondent le mieux à l'intérêt général et de favoriser ainsi leur succès auprès du public.
Un autre argument réside dans le fait que ces banques ont – semble-t-il – beaucoup moins que d'autres souffert de la crise financière et sont donc un facteur de stabilité financière. Non seulement une nouvelle intervention publique pour renflouer les banques serait ainsi limitée, mais elle serait probablement inutile.
Un modèle qui sert l'intérêt général
Les objectifs d'intérêt général auxquels on peut penser ont trait à la protection du consommateur et à un développement local et durable. Les conditions relatives à la protection du consommateur pourraient ainsi être les suivantes :
- avoir une activité limitée au métier bancaire de base, récolter l'épargne pour octroyer des crédits, sans aucune activité de banque d'affaires ;
- favoriser la stabilité, par exemple en évitant la cotation des actions de la banque en Bourse ;
- garantir l'inclusion financière de tous par une offre de produits simples et adaptés.
Le développement local, tant sur le plan économique que social, pourrait quant à lui être assuré par deux éléments :
- une politique de crédit appropriée pour les agents économiques que sont les ménages, les entreprises et les organisations publiques et privées ;
- une politique qui vise à éviter toute forme d'évasion fiscale.
Le développement durable devrait quant à lui être assuré par l'intégration de critères sociaux et environnementaux dans les politiques de crédit et de placement.
Les services financiers qui rempliraient ces conditions pourraient être qualifiés de services d'intérêt économique général (SIEG) au sens de l'article 86 du Traité instituant la communauté européenne (Traité CE), anciennement article 90, qui définit ceux-ci comme des services commerciaux d'utilité économique générale auxquels les pouvoirs publics imposent par conséquent des obligations spécifiques de service public.
L'article 16, intégré dans le Traité CE par le Traité d'Amsterdam, reconnaît la place occupée par les SIEG dans les valeurs partagées de l'Union ainsi que leur rôle dans la promotion de la cohésion sociale et territoriale. L'article 16 stipule également que ces services doivent fonctionner sur la base de principes et conditions qui leur permettent de remplir leurs fonctions. L'article 36 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne requiert quant à lui de l'Union qu'elle reconnaisse et respecte l'accès aux SIEG pour promouvoir la cohésion sociale et territoriale de l'Union.
Un traitement légal différencié
En fonction des traditions historiques et des caractéristiques spécifiques des services concernés, les États membres appliquent différents mécanismes afin d'assurer l'équilibre financier des prestataires de services d'intérêt général. Par conséquent, certaines banques peuvent être chargées par le gouvernement de fournir des SIEG. Ces institutions peuvent, afin de rémunérer ce service, percevoir des indemnités(5).
Sur le plan de la transparence et du monitoring, indispensables pour vérifier la réalisation des objectifs d'intérêt général visés ci-dessus, une législation comme celle du Community Reinvestment Act votée aux États-Unis en 1977 paraît une bonne source d'inspiration. Celle-ci a instauré une analyse obligatoire de la performance sociale des banques dans quatre domaines :
- les crédits : prêt aux personnes à revenu faible ou modéré en vue de la construction ou de la rénovation de logements modestes ; crédit à des associations répondant prioritairement aux besoins des personnes à revenu faible ou modéré ; crédit à la réhabilitation environnementale ou au développement d’un ancien site industriel situé dans des quartiers défavorisés ; crédit pour les aménagements dans les quartiers de personnes à revenu faible ou modéré ; etc.
- les investissements : financement (sous la forme de dépôts, de prise de participation…) des organisations travaillant à la construction et la rénovation du logement ; des organisations favorisant le développement économique par le financement de TPE ou de PME ; des associations et fondations caritatives actives dans la gérance d’immeubles, le crédit-conseil, ou l’éducation financière ; des financiers alternatifs (tels que les C.D.F.I.) qui prêtent principalement aux personnes à revenu faible ou modeste, etc.
- les services offerts : assistance technique aux organisations gouvernementales et autres associations s’occupant de personnes à revenu faible ou modeste ou de revitalisation économique ; conseil en crédit, gérance d’immeuble, planning financier ; etc.
- le Community development : « soutien financier accordé aux associations de quartiers et à toute autre forme de participation des résidents à la vie de leur quartier »(6).
Elle devrait bien sûr être adaptée aux critères d'intérêt général retenus en Belgique.
Conclusions
La reconnaissance et la promotion, par un traitement légal différencié, de banques qui se concentrent de manière exclusive sur leur métier de base semble non seulement possibles et souhaitables, mais également souhaitées par la société civile. De quoi justifier qu'un débat public soit initié à ce sujet avant que l'on ne retombe dans le « business as usual » – les affaires continuent comme auparavant jusqu'à la prochaine crise ? Un débat qui permette au citoyen de se réapproprier la finance et de s'assurer qu'elle serve l'intérêt général.
Bernard Bayot, avril 2009
(3) P.D.-D., "La banque des épargnants", La Libre Belgique, 4 avril 2009.
(4) "Baromètre politique: Oui à la banque publique...", LaLibre Belgique, 30 mars 2009.