La loi sur le service bancaire de base
En septembre 2008, la loi du 24 mars 2003 instaurant un service bancaire de base[1] (S.B.B.) a eu cinq ans. Elle avait été adoptée à l’unanimité suite au constat que, en 2001, l’exclusion bancaire[2] en Belgique touchait une population estimée à 40 000 personnes[3].
La loi garantit depuis lors à tout citoyen ayant sa résidence principale en Belgique le droit à l’ouverture d’un service bancaire de base dans la banque de son choix dès lors qu’il ne possède pas d’autres comptes à vue ou de compte S.B.B. et respecte quelques autres conditions[4].
Ainsi, pour la somme forfaitaire maximale de 13,19 € par an[5], toutes les banques offrant des comptes à vue doivent également offrir un « service bancaire de base », avec ou sans mise à disposition d’une carte de crédit, comprenant au minimum les services suivants : l’ouverture et la clôture d’un compte à vue, la mise à disposition (électronique ou non) des extraits de compte, la possibilité d’effectuer des dépôts et des retraits au guichet (en nombre assez limité) ou par voie électronique lorsqu’une carte de débit est mise à disposition.
Deux ans après son entrée en vigueur, une évaluation de la loi[6] réalisée par nos soins à la demande de la ministre en charge de la Consommation a permis de mettre en évidence que le nombre d’exclus bancaires avait été divisé par quatre entre fin 2001 et fin 2005, passant de 40 000 à 10 000 et que le nombre de C.P.A.S. et de services sociaux ayant eu à connaître des situations d’exclusion bancaire avait largement diminué par rapport à 2001.
L'étude avait alors également mis en lumière le double rôle joué par la loi sur le service bancaire de base : curatif, d’une part, par l’ouverture des comptes S.B.B. à proprement parler et préventif, d’autre part, lorsque les banques acceptent plus facilement l’ouverture d’un compte « classique » ou élaborent des produits spécifiques à destination de certains publics précarisés[7].
Une série de difficultés d’application de la loi sur le S.B.B. étaient toutefois apparues et certaines catégories de personnes s’étaient révélées comme étant en difficulté pour maintenir, ouvrir ou utiliser un compte (personnes surendettées, étrangères ou en difficulté face à l’automatisation des banques).
Afin de résoudre certaines de ces difficultés, une loi modifiant la loi de 2003 et son arrêté d'exécution a alors été adoptée le 1er avril 2007[8], modalisant les mesures suivantes :
- l’élargissement des conditions d’octroi du service bancaire de base[9] ;
- la précision, dans la loi, que la décision d’admissibilité d’une procédure en règlement collectif de dettes ne peut justifier un refus ou une clôture de compte S.B.B. ;
- le maintien dans la loi de la disposition relative à la création d'un fonds de compensation[10] — dont l’objectif est de permettre une compensation financière entre les banques qui fournissent des services bancaires de base et les banques qui rechignent à délivrer de tels services – et la précision que cette création ne peut avoir lieu qu'après une évaluation réalisée au plus tôt en 2008 ;
- l’obligation pour les établissements de crédit de livrer tous les 6 mois un rapport sur le nombre de comptes ouverts, les refus et les motivations de ces refus au Service de médiation banques-crédit-placements.
Rapport 2007 du Service de médiation banques-crédit-placements
Depuis sa modification, l’année dernière, la loi sur le service bancaire de base impose donc aux banques qui offrent des services aux particuliers de communiquer chaque année au Service de médiation banques-crédit-placements « des informations sur le nombre de comptes ouverts, le nombre de refus et de résiliations ainsi que leur motivation. Les informations sur l’année civile écoulée sont transmises au plus tard le 31 janvier de l’année qui suit ».
Ces statistiques ont été pour la première fois récoltées par le Service de médiation en janvier 2008.
Selon le rapport annuel 2007 du Service de médiation [11], 9.861 comptes de base ont ainsi été recensés en fin 2007 et, pendant cette année-là, 1.855 nouveaux comptes de base ont été ouverts, pour 2.186 clôturés.
Le rapport indique aussi que 290 demandes d’ouverture de SBB ont été refusées en 2007, ces refus étant principalement motivés par l’existence d’un autre compte dans le chef du demandeur (motif invoqué 180 fois) ou par le fait que ce dernier disposait d’un crédit à la consommation de plus de 6 000 euros auprès d'un établissement de crédit (motif invoqué 102 fois) ou encore d’un dépôt d'épargne et d’un crédit à la consommation dont le montant cumulé était supérieur à 6 000 euros (motif invoqué 56 fois).
Enfin, sur les 2 186 clôtures, 1 224 sont intervenues à la demande du titulaire, les autres clôtures étant justifiées dans la quasi-totalité des cas par l’existence « d’autres produits bancaires non compatibles avec un compte de base (motif invoqué 947 fois) ».
Selon le rapport, ce dernier chiffre s'explique par la « fermeture » d'un grand nombre de « services de base » auprès d'une institution financière et leur remplacement par des comptes ordinaires à des conditions égales.
Notons enfin que le rapport indique que sept banques offrent un service bancaire de base, les banques offrant des comptes gratuits n'enregistrant pas de comptes bancaires de base.
Interpellation du ministre en charge de la Protection de la consommation
Constatant, rapport à l’appui, que le nombre de services bancaires de base a diminué en 2007 alors que le but de la modification de la loi intervenue en 2004 était justement de donner accès à ce service à plus de consommateurs, la députée Katrien Partyka (CD&V) s'est récemment interrogée sur le fait que la modification de la loi intervenue en 2007 ait bien atteint ses objectifs[12].
Selon la députée, différentes raisons expliquent le faible succès du service bancaire de base légal :
- La plupart des banques offrent, sans doute sous la pression de l’existence du service bancaire de base légal, leur propre compte bancaire de base bon marché, avec, il est vrai, une prestation de services restreinte. Ainsi, par exemple, la carte de banque est uniquement utilisable dans les propres succursales de l’établissement.
- En outre, la plupart des banques ne promeuvent que très peu leur propre compte bancaire de base bon marché, et favorisent plutôt leurs comptes bancaires plus coûteux.
- Enfin, les banques diffusent aussi peu d'information au sujet du service bancaire de base légal, en le mentionnant uniquement dans le prospectus de leurs tarifs ainsi qu’ils en ont l’obligation légale. Sur les sites Internet de la plupart des banques, on retrouve peu d’information sur la possibilité d’ouvrir un service bancaire de base, et ce service n’est souvent pas mentionné en dessous du descriptif des comptes à vue offerts.
Considérant « qu’il est à craindre que la majorité des 1,5 million de Belges vivant en dessous du seuil de pauvreté ne soit pas au courant de la réglementation ou possède un compte en banque trop cher », la députée Katrien Partyka a dès sollicité le ministre en charge de la Protection de la consommation afin qu’il « prenne des mesures pour augmenter l'information relative à ce type de produit et examine avec les banques la possibilité que celles-ci fassent la promotion de ce type de produit ou des comptes qui sont moins onéreux que leurs comptes classiques ».
Analyse du rapport au regard des conclusions de l’évaluation de la loi en 2005
Si on compare les chiffres du Rapport 2007 du Service de médiation banques-crédit-placements à ceux collectés en 2005 par le Réseau Financement Alternatif[13] auprès des établissements de crédit[14], on constate que le nombre de comptes SBB ouverts depuis l'adoption de la loi a tout d'abord subi une augmentation croissante, avec 5.541 comptes effectifs fin 2005[15], pour culminer à 10 192 comptes fin 2006-début 2007 et retomber à 9861 fin 2007.
L’évolution du nombre de services bancaires de base en 2007 opère donc bien une rupture par rapport à la tendance observée les années précédentes, une diminution du nombre de comptes SBB ouverts et un nombre de clôtures supérieur au nombre d’ouvertures ayant été constatés pour la première fois.
Ce constat, ainsi que le souligne la députée Katrien Partyka, mérite toute notre attention et devrait amener nos responsables politiques à s’assurer à nouveau que la loi garantit bien un accès effectif à un compte bancaire pour tous les citoyens aujourd’hui en Belgique.
Les chiffres énoncés dans le rapport permettent-ils, à eux seuls, de conclure à une défaillance de la modification de la loi intervenue en 2007 à atteindre ses objectifs ? Nous ne le pensons pas.
Rappelons tout d’abord que les nouvelles dispositions ne sont entrées en vigueur qu’au mois de mai 2007, et n’ont dès lors été appliquées qu’à partir de la seconde partie de l’année. L’examen des données relatives à 2008, qui seront communiquées fin janvier 2009, sera dès lors fort utile pour permettre l’examen des données récoltées sur une période plus représentative.
Précisons ensuite que le nombre d’ouvertures et de clôtures de comptes SBB constitue un indicateur qui doit impérativement être interprété au regard d’une série d’autres éléments dont l’examen est indispensable afin d’établir si l’objectif poursuivi est effectivement atteint.
Ainsi, on ne saurait répondre correctement à cette dernière question qu’en analysant également en profondeur les éléments suivants :
- A combien peut-on évaluer aujourd'hui le nombre de personnes exclues bancaires en Belgique ?
- Vu les différentes mesures prises depuis 2003, quelles sont, selon les acteurs de terrain, les causes qui néanmoins subsistent et génèrent cette exclusion bancaire ?
- L'offre de service bancaire de base est-elle équitablement répartie entre les différents établissements bancaires ?
- Existe-t-il des produits bancaires « de substitution » qui captent une partie des bénéficiaires potentiels du service bancaire de base (comptes gratuits, comptes sociaux...), quelle part de marché couvrent-ils et quels sont leurs conditions, avantages et/ou inconvénients par rapport au service bancaire de base ?
- Quelle est réellement la publicité faite actuellement au sujet du service bancaire de base par les établissements bancaires et les autres parties prenantes ; avec quel impact ?
L’analyse de ces différents points nécessite qu’une étude s’y attarde en détail, et dépasse largement le cadre du présent article.
Nous nous limiterons donc à formuler ici quelques réflexions liminaires qui nous sont apparues à la lecture du Rapport 2007.
Selon ce dernier, près de trois quarts des refus d’octroi d’un service bancaire de base sont justifiés par le fait que le demandeur disposait d’un crédit à la consommation de plus de 6 000 euros auprès d'un établissement de crédit ou encore d’un dépôt d'épargne et d’un crédit à la consommation dont le montant cumulé était supérieur à 6 000 euros.
Or ce motif de refus, certes prévu par la loi, est tout à fait discriminatoire : les crédits à la consommation souscrits auprès d’un établissement de crédit sont autorisés à concurrence d’un montant maximum, alors que les crédits souscrits auprès des dispensateurs de crédit non bancaires (grande distribution, sociétés spécialisées, vente par correspondance...) sont autorisés sans limite !
Le fait que ce motif soit tant invoqué par les banques rend la discrimination d’autant plus criante. On se retrouve en effet devant un droit au SBB différencié, où les personnes ayant recours à des prêteurs non bancaires sont favorisées.
Nous nous interrogeons ensuite sur le fait que les banques qui offrent un compte gratuit n’enregistrent pas de compte de base. Celles-ci ne sont-elles pas tenues de le faire dès lors qu’elles offrent des comptes en banque aux particuliers ? C’est pourtant bien ce que prévoit la loi.
Enfin, le rapport nous apprend que sept banques jouent le jeu en offrant un service bancaire de base. Mais dans quelle mesure ? Certaines assument-elles une plus grosse part de l’offre ou cette dernière est-elle bien répartie entre les différentes enseignes ? Certaines sont-elles plus proactives que d’autres dans ce domaine ?
La création d'un fonds de compensation — qui ne peut avoir lieu qu'après une évaluation réalisée au plus tôt en 2008 — doit-elle être envisagée afin de stimuler les banques à faire le nécessaire pour assurer la promotion et l'ouverture de services bancaires de base ?
Conclusions
La diminution du nombre de comptes bancaires de base observée en 2007 traduit-elle une défaillance de la loi sur le SBB à atteindre ses objectifs ? L’examen isolé des données du rapport annuel du Service de médiation banques-crédit-placements ne permet ni d’affirmer, ni d’infirmer cette allégation.
Seule une étude approfondie portant sur un faisceau d’indicateurs bien plus large permettrait de répondre à cette question, qui doit en réalité être posée en ces termes : les produits bancaires disponibles sur le marché actuellement et les mesures mises en place par les différentes parties prenantes, dont le service bancaire est un des éléments piliers, permettent-ils aujourd’hui de lutter efficacement contre l'exclusion bancaire en Belgique?
Lise Disneur, septembre 200.8
[1] Moniteur belge, 15 mai 2003, 2ème éd., page 26.402
[2] Exclusion bancaire est le terme utilisé pour désigner le processus par lequel une personne rencontre des difficultés d’accès et/ou d’usage dans ses pratiques bancaires et qu’elle ne peut plus mener une vie normale dans notre société.
[3] Voir les résultats de l’étude « Élaboration d’un service bancaire universel » menée par le Réseau Financement Alternatif en 2003.
[4] La loi prévoyait alors que pour pouvoir bénéficier d’un SBB, le demandeur ne devait pas posséder
- de comptes titres, de fonds de placement, de produits d’assurances, de SICAV et de SICAF ;
- de crédits en cours auprès d’un établissement de crédit ;
- d’autres comptes (tel le compte épargne) dont le solde créditeur cumulé moyen annuel dépasse 2 500 euros (les garanties locatives ne sont pas prises en considération pour la détermination du montant maximum).
Ces conditions ont été modifiées en 2007 (voir note de bas de page n° 9).
[5] Montant indexé pour 2008.
[6] « Évaluation de la loi du 24 mars 2003 instaurant le service bancaire de base », Étude réalisée à la demande de Mme Freya Van den Bossche, ministre en charge de la Protection de la consommation, Lise Disneur, Françoise Radermacher et Bernard Bayot, disponible sur www.rfa.be/files/Synth%E8se%20fr.pdf
[7] Tels les comptes sociaux offerts par Dexia à destination des personnes émargeant au C.P.A.S.
[8] Loi modifiant la loi du 24 mars 2003 instaurant un service bancaire de base, M.B. 24-04-2007 et Arrêté royal du 1er avril 2007 modifiant l'arrêté royal du 7 septembre 2003 portant certaines mesures d'exécution de la loi du 24 mars 2003 instaurant un service bancaire de base, M.B. 24-04-2007.
[9] Le bénéficiaire d’un service bancaire peut désormais avoir aussi bien un crédit à la consommation qu’un compte d’épargne, pourvu que le montant cumulé de ces deux produits soit inférieur à 6 000 euros.
[10] Les cotisations des banques pour financer ce fonds sont fixées selon un ratio calculé en fonction du nombre de services bancaires de base délivrés par les banques d’une part, et de leur taille sur le marché, d’autre part. Le fonds a vocation à assurer la viabilité du service bancaire de base en répartissant son coût entre tous les opérateurs concernés.
[11] Disponible sur http://www.ombfin.be/files/om2007fr.pdf
[12] Voir le communiqué de presse du 13/08/2008 sur le site http://www.cdenv.be/actua/persberichten/katrien-partyka-%E2%80%9Cbasisbankdiensten-zijn-onvoldoende-bekend%E2%80%9D
[13] « Évaluation de la loi du 24 mars 2003 instaurant le service bancaire de base », op.cit.
[14] Ces données proviennent des établissements de crédit ayant répondu à l'enquête menée par RFA, sans faire l'objet d’une extrapolation. Ces derniers représentaient alors 81,35 % du secteur bancaire belge.
[15] Le nombre d’ouvertures de comptes S.B.B. a été le plus important durant les deux premières années puisque 2003 et 2004 ont enregistré respectivement 2 707 et 3 691 ouvertures de comptes S.B.B. 2005 marquait alors une diminution par rapport à 2004, avec 2 730 nouveaux S.B.B. ouverts. Le total cumulé des clôtures depuis le lancement du S.B.B. jusqu'à fin 2005 s'élevait à 3 587.