Avec près de 226 milliards d’euros placés sur les comptes d’épargne en Belgique en septembre 20131, le Belge est toujours, malgré la crise, un super-épargnant, bien classé dans le peloton européen. Un chiffre record qui ne dit rien sur la répartition de ce capital à travers la population. En effet, qui met de l’argent de côté dans notre pays ? Pas tout le monde ! Selon l’enquête SILC2, menée en 2011, 26,1 % des Belges se déclarent incapables de faire face à des dépenses financières imprévues. Si plus d’un quart de la population du plat pays n’épargne pas, nous avons un sérieux souci. Dans un pays comme la Belgique, où le revenu moyen est relativement élevé, un nombre important de personnes ne peut donc pas faire face à un imprévu financier – en dehors de toute aide sociale –, soit un témoignage certain du creusement des inégalités entre les différentes couches de population.
Encourager l'épargne
L'épargne constitue un filet de sécurité qui évite de recourir à des solutions inadaptées, à glisser sur la pente de l'endettement au moindre accident de la vie. Partant de ce constat, tout le monde aurait intérêt – et la grande majorité pourrait – épargner. Bien sûr, des freins à l’épargne, levables plus ou moins facilement selon les personnes concernées,
existent. Mais des initiatives publiques, privées ou associatives développées, ici et ailleurs, ont montré qu’avec des instruments adaptés, épargner est possible pour la plupart d'entre nous. Avant d’exposer ces pistes variées, un constat doit être posé : les outils visant actuellement à encourager les personnes qui n'épargnent pas – dont font inévitablement partie les ménages à bas revenus, les personnes âgées et les migrants – à modifier leur comportement, sont encore trop peu nombreux en Belgique.
1. Bulletin statistique de la Banque Nationale de Belgique,
4e trimestre 2013.
2. Enquête 2011 sur les revenus et les conditions
de vie (EU-SILC)
Épargner ? Cela passe d’abord par un véritable apprentissage, comme le montrent ces deux témoignages.
Brigitte, 60 ans, épargnante modèle, pensionnée
Vous épargnez depuis longtemps ?
Oui, j’ai toujours épargné, mais pas toujours de la bonne façon. D’abord via une assurance-vie, etc. Sans me poser de questions. Je fais par ailleurs partie de ceux qui bénéficient d'incitants fiscaux, je paie moins d’impôts grâce à mon épargne, mais cela n’était pas suffisant, j’ai voulu aller plus loin. Il y a une bonne dizaine d’années, mon comportement a changé, je voulais connaître la destination de mon épargne. J’ai commencé par investir dans des coopératives, des obli-
gations d’associations, ...
Votre épargne est-elle dépendante de vos revenus ?
Entendons-nous bien, je n’ai jamais manqué de rien, et il est vrai qu’à une époque j’avais d'excellents revenus. Aujourd’hui, ils ont diminué de moitié. C’est pourtant maintenant que j’épargne le mieux. Je crois en la capacité d’épargne à tous les niveaux ! Plus largement, pour une personne qui se trouve dans une situation d’insécurité financière, avoir de petites sommes à l’abri, cela peut tout changer. Et je ne parle même pas du sentiment de fierté qui peut en découler.
Vous êtes, en quelque sorte, l’épargnante modèle. Que pensez-vous des comportements
d’épargne autour de vous ?
J’ai élevé trois enfants avec de grands écarts d’âge, à des périodes différentes de ma vie donc. Ma fille, la plus âgée, épargne, elle-aussi. Mais, même si elle a des interrogations par rapport à l’utilisation de son épargne par les banques, elle dit ne pas avoir le temps d’aller plus loin. Mes deux garçons, qui gagnent pourtant bien leur vie, n’épargnent pas. Ils ont l’impression de ne pas pouvoir se le permettre sans diminuer leur niveau de vie ou n’en voient pas l’utilité. Selon moi, c’est une question d’éducation financière, en notant ses dépenses, en apprenant quelques trucs et astuces, on peut facilement mettre de l’argent de côté, chacun à son niveau.
Madeleine, 43 ans, apprentie épargnante, mère au foyer
Pourquoi avez-vous commencé à épargner ?
Dans la société actuelle, on nous apprend bien à dépenser, à faire des crédits, à acheter, ... Mais personne ne m'avait dit : apprenez à mettre 10, 15 ou même 5 euros par mois de côté. En rejoignant le groupe de micro-épargne de ma commune1, j’ai appris que j’étais capable de mettre chaque mois des euros à la banque, sans me priver pour autant. Je ne dis pas que c'est facile. Les mois sont longs et on a parfois envie de récupérer son argent. Mais, grâce ce système collectif, j’ai le courage de continuer. Et puis, les réunions nous apprennent à voir les choses différemment.
Des choses ont changé dans votre comportement quotidien depuis que vous épargnez ?
Oui, par exemple, quand je fais les courses, je ne pars plus « à la sauvage », mais je me limite à acheter ce dont la famille a besoin. Et puis, surtout, j’ose parler d’argent, j’ai appris à économiser sur ma consommation d’énergie, sur tout en fait ! J’ai réussi à faire comprendre à mes enfants que l’on n’a pas besoin de 10 paires de chaussures pour être heureux et même à leur faire économiser eux-mêmes sur leur argent de poche. J’en suis très fière. J’ai compris qu’économiser c’est bien, parce que cela évite d'être forcé à faire des sacrifices sur le primordial. Et on gagne aussi de la fierté à gérer son argent.
1. Financité, en collaboration avec les CPAS locaux, a mis en place plusieurs groupes de micro-épargne en Belgique. Madeleine fait partie du groupe de micro-épargne de la commune de Onhaye (voir p. 9 et p.12).