Le profit avant les vies humaines ?

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03/2008
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Auteur(s): 

Editeur: 

Réseau Financité, (ex- Réseau Financement Alternatif)

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Régulièrement, humanitaires et associations de patients reprochent aux compagnies pharmaceutiques de pratiquer des prix impayables pour les malades des pays pauvres, atteints du SIDA ou d'autres pathologies nécessitant des soins à vie. Investisseurs, vous aussi pouvez faire entendre raison aux majors du médicament !

Historique

En mars 2001, un procès à Pretoria opposait l’Association sud-africaine des fabricants de médicaments à l’État sud-africain. En cause : une loi de 1997 favorisant les médicaments génériques, moins chers que les produits de marque, pour permettre l’accès aux soins au plus grand nombre possible de personnes atteintes du SIDA. Ce pays était alors le plus touché au monde par la pandémie : 10 % de sa population.

Face à cette évidence et grâce au soutien de la société civile internationale, les compagnies pharmaceutiques sont mises en déroute et le débat rebondit à l’OMC. Le 14 novembre 2001, à Doha, l’OMC accouche d’un compromis – la déclaration de Doha – qui reconnaît aussi bien l’importance des brevets pour l’industrie pharmaceutique que l’urgence pour les gouvernants des pays pauvres de prendre des mesures de santé publique, pour permettre l’accès aux traitements des malades du SIDA, de la tuberculose, du paludisme ou d’autres épidémies.

Sept ans après la déclaration de Doha, les entreprises du secteur rechignent toujours à respecter l’esprit de cet accord. Et Médecins Sans Frontières, Oxfam ou même la Fondation Clinton de voler au secours des malades. Quid des investisseurs ?

L’activisme actionnarial a aussi une histoire

En 1982, l’Interfaith Center on Corporate Responsibility (ICCR), une coalition de 275 investisseurs institutionnels religieux, organise une campagne en direction des firmes pharmaceutiques.

Cette année-là, le gouvernement du Bangladesh édicte une loi interdisant 1 700 médicaments considérés comme dangereux ou inutiles et publie une liste de 150 médicaments essentiels pour les soins et de 100 médicaments de base dans les hôpitaux. Les multinationales du secteur pharmaceutique menacent de se retirer du pays et recherchent l’appui du gouvernement américain. Les congrégations religieuses se mobilisent alors pour soutenir le droit d’un pays du Sud à définir sa politique sanitaire. Elles interpellent les groupes pharmaceutiques qui finalement maintiennent leur implantation au Bangladesh et se rallient au principe des « listes de médicaments essentiels ».

En 2003, dans la foulée de la campagne internationale de sensibilisation orchestrée par Oxfam sous le slogan « Cut the Cost » à l’encontre de la multinationale anglo-américaine GlaxoSmithKline (GSK), c’est CalPERS, premier fonds de pension américain, qui embraye. Le 15 avril 2003, cette caisse de retraite l’État de Californie demande à GSK, dont il est un actionnaire à hauteur de 0,66 % environ, de faciliter l’accès à des versions génériques de ses médicaments anti-SIDA. Dans un texte voté
à l’unanimité par son comité d’investissement, le fonds de pension s’inquiète du « comportement d’entreprise » de GSK et mentionne que son attitude face au SIDA pourrait entacher la réputation du groupe et nuire à la valeur de l’action. Le 28 avril 2003, GSK annonce une baisse du prix des médicaments anti-SIDA dans les pays pauvres (1).

En 2004, l’ICCR reprend le relais. R éagissant à la menace que la pandémie fait planer sur la vie de milliers d’individus, sur l’économie des pays touchés et sur la valeur des actions des entreprises qui ont des activités dans ces pays, l’ICCR demande notamment aux sociétés pharmaceutiques de produire un rapport décrivant les effets du SIDA sur leurs activités, ainsi que les mesures prises pour y faire face.

But de l’ICCR : améliorer in fine l’accès aux traitements, dans différents pays pauvres où les enfants sont affectés en grand nombre (1).

Les donateurs s’en mêlent

On trouve ainsi divers exemples d’initiatives prises par des fonds de placement ou autres investisseurs. Ceux-ci sont en général plus discrets que Médecins Sans Frontières, Oxfam ou que des personnalités telles que Bill et Melinda Gates – dont la fondation s’attaque au paludisme – ou Bill Clinton. La Fondation Clinton est active dans la lutte contre le SIDA depuis plusieurs années et négocie avec les fabricants de médicaments des compromis permettant à des États d’Afrique et d’Amérique latine d’offrir à leurs malades un accès aux soins à des prix proportionnels à leur niveau de vie. En mai 2007, elle a conclu avec deux fabricants de médicaments génériques indiens, Cipla et Matrix, un accord pour réduire le coût des antirétroviraux de dernière génération. 40 millions de personnes infectées par le virus du SIDA dans 66 pays à bas et moyens revenus y auront ainsi accès. Mais Bill Clinton reste avant tout un homme politique, aux côtés de son épouse candidate...

Pendant ce temps, les compagnies pharmaceutiques continuent de chercher noise aux États tels que l’Afrique du Sud, la Thaïlande, l’Inde ou le Brésil qui tentent de faire respecter l’accord de Doha.

Brevets v/s génériques : que de conflits!

Le cas de l’Efavirenz de Merck

Afrique du Sud : 10 ans après le fameux procès de Pretoria, le 7 novembre 2007, Treatment Action Campaign (TAC) porte plainte auprès de la Commission de la concurrence contre les pratiques monopolistiques de la plus grande entreprise pharmaceutique mondiale, Merck, et de sa filiale sud-africaine, MSD (2). Ces entreprises empêchent la commercialisation de l’antirétroviral Efavirenz dans des conditions supportables pour le budget de l’État...

Le cas du Kaletra de Abbott

Sommées d’adapter leurs prix, les entreprises pharmaceutiques ne cèdent qu’en fonction de la visibilité du pays ou de la maladie en question. Ainsi, les laboratoires Abbott vendaient l’antirétroviral Kaletra à 2 200 dollars par patient et par an dans les pays à faibles et moyens revenus tels que le Guatemala, où le salaire annuel moyen est de 2 400 dollars. Ce n’est que lorsque la Thaïlande a décidé d’appliquer une licence obligatoire pour faire diminuer le prix du Kaletra à 1 000 dollars, que le laboratoire Abbott en a réduit le prix à 1 000 dollars par patient et par an à l’échelle mondiale.

Ensuite, en mars 2007, Abbott a pris des mesures de rétorsion contre la Thaïlande en refusant d’y commercialiser la nouvelle version du Kaletra. Celle-ci, ne devant pas être réfrigérée, est pourtant en vente depuis 2005 aux États-Unis (3).

Le cas du TDF de Gilead Science

Le 23 janvier 2008, l’Office américain des brevets refuse d’accorder un brevet à l’entreprise Gilead Science pour la production du tenofovir disoproxil fumarate (TDF). Ceci grâce à la pression d’une fondation d’utilité publique, la Public Patent Foundation (PUBPAT), qui a pu démontrer que le TDF était déjà connu au moment où Gilead a introduit sa demande de brevet.

Cette décision pourrait faire basculer celles d’instances octroyant des brevets dans d’autres pays comme l’Inde – où le brevet a déjà été accordé – ou le Brésil, où le débat n’est pas clos.

Et ainsi ouvrir la voie à la production... puis à l’exportation de versions génériques moins chères (4). Une victoire qui rend espoir aux groupements de patients indiens et brésiliens, sur la brèche depuis de nombreuses années.

Antoinette Brouyaux


(1) Voir les articles sur l’activisme actionnarial sur le site www.financite.be», rubrique « M a documentation »
(2) www.tac.org.za
(3) H. Vines-Fiestas, « I nvesting for life », 27/11/2007 www.oxfam.org
(4) Communiqué de MS F, 15/3/2007

Investing for life : business as usual ?

Le rapport «Investing for Life» (3) d’Oxfam International présente les pratiques économiques des 12 plus grandes entreprises pharmaceutiques : Abbott, AstraZeneca, Bristol-Myers Squibb, GlaxoSmithKline, Eli Lilly, Johnson & Johnson, Merck, Novartis, Pfizer, Roche, Sanofi-Aventis and Wyeth.

Selon l’auteur, Helena Vines-Fiestas, l’industrie pharmaceutique met en péril son propre avenir en empêchant des millions de personnes pauvres d’avoir accès aux médicaments. Les investisseurs eux-mêmes ne s’y trompent pas. A l’heure où 15 % des populations riches consomment plus de 90 % des produits pharmaceutiques, ils savent que les marchés émergents sont stratégiques et constatent que ces entreprises ont répondu à ce nouveau défi de façon incohérente.

Elles ne sont pas parvenues à mettre en place une politique systématique et transparente de fixation progressive des prix, tenant compte du pouvoir d’achat des populations concernées.

Inflexibles en matière de protection de la propriété intellectuelle, elles continuent de traîner les pays pauvres devant les tribunaux pour les empêcher d’avoir recours aux clauses de sauvegarde relatives à la santé publique. Pendant ce temps, elles favorisent les donations qui permettent de fournir des médicaments abordables aux populations, mais ce système n’est pas pérenne et s’avère parfois contre-productif. Dans ce contexte, relève l’auteur, la perte de confiance des investisseurs aurait déjà coûté mille milliards de dollars aux actionnaires de l’industrie pharmaceutique...

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