L'éducation financière, oui, mais laquelle ?

11/2008
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Réseau Financité, (ex- Réseau Financement Alternatif)

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Plus d'éducation financière ne doit pas signifier un rejet des responsabilités des établissements financiers sur le dos des consommateurs. Pour un meilleur équilibre du marché, régulation et éducation financière doivent être renforcées de concert, en visant un objectif sociétal clairement stipulé.

L'heure de la crise, l'heure du débat

Le 24 octobre 2008, la Commission bancaire, financière et des assurances (CBFA) publiait un Rapport sur la promotion des connaissances financières en Belgique, commandité en septembre 2006 par le ministre fédéral qui avait alors la Protection de la consommation dans ses attributionsi. Lui-même se basait sur une recommandation du Conseil de l'OCDE de juillet 2005, formulée à la suite d’une vaste enquête sur le sujet. Entre-temps, la Commission européenne a, elle aussi, saisi diverses occasions pour souligner l'importance de l'éducation financière qui fit l'objet d'une communication spécifique le 18 décembre 2007. Dans la foulée, le 30 avril 2008, la Commission créait un groupe d'experts ad hoc et le 14 mai 2008, le Conseil ECOFIN saluait ces initiatives en pointant leur importance dans ses conclusions. Au niveau belge, cette priorité à l'éducation financière a été reprise dans les axes de la politique socio-économique du gouvernement fédéral présentée le 23 mai 2008. Cette priorité a été confirmée dans la déclaration du gouvernement sur sa politique générale le 14 octobre 2008.

Pendant cette période, la crise financière qui couvait aux États-Unis, a éclaté et a frappé le continent européen de plein fouet en septembre 2008. Cette crise a donné lieu à un large débat médiatique fournissant aux consommateurs en manque de connaissances financières, une masse impressionnante d'informations. En fonction de leurs affinités journalistiques et idéologiques, les consommateurs ont ainsi à leur disposition de quoi se forger une opinion personnelle quant aux responsabilités individuelles et collectives de ce désastre, et quant aux solutions préconisées.

Cette manne d'informations contribue évidemment à nourrir les inquiétudes des épargnants quant à leurs placements, comme celles des travailleurs craignant de perdre leur emploi. Entre les raisons objectives de s'inquiéter et les vents de panique irrationnels, il n'est pas toujours facile de savoir où se situer. C'est là un premier enseignement à tirer de l'expérience de cette crise financière, dans une optique « d'amélioration des connaissances financières » comme l'appelle de ses voeux la CBFA.

Son rapport, il est vrai, a été diffusé dans un contexte particulièrement critique. On se réjouit donc d'y lire (quoiqu'il faille atteindre la page 43, chapitre 8, pour trouver cette phrase) : « La promotion de l'éducation financière ne doit pas se substituer à la réglementation financière qui est essentielle pour protéger les consommateurs (...) L'éducation financière doit être considérée comme un complément à une protection adéquate des consommateurs et à un comportement responsable des prestataires de services financiers (...) »

Là se situe le coeur du débat sur l'éducation financière. Nul ne conteste son utilité, c'est sa finalité qui divise. L'optique libérale consacre la responsabilité individuelle de chacun, y compris celle des consommateurs aux prises avec les institutions bancaires. De leur côté, les tenants d'une priorité à la justice sociale et à un meilleur contrôle public du secteur financier soutiennent que l'éducation financière ne peut en aucun cas se substituer à des mécanismes régulateurs.

Dans le même ordre d'idée, l'éducation financière ne devrait pas non plus avoir pour objectif de hisser tout un chacun au niveau de complexité qu'atteignent certains produits financiers. À titre d'illustration, est-il nécessaire de comprendre le fonctionnement d'un moteur de voiture pour pouvoir rouler en sécurité, pour soi-même et les autres ? Ainsi, en matière de placement pourquoi viser à ce que monsieur Tout-le-Monde comprenne les vocables spécialisés de la finance ? Il lui faut surtout être en mesure de gérer les risques et de choisir les produits financiers qui répondent le mieux à sa situation.

La crise financière de 2008 a évidemment jeté une lumière particulièrement crue sur une réalité qui était encore décrite comme suit, dans cet extrait de la communication de la Commission européenne du 18 décembre 2007 : « il suffit de rappeler les difficultés actuelles sur le marché américain des subprimes, où de nombreux consommateurs se sont endettés au-delà de leurs moyens, notamment du fait d'une mauvaise connaissance des caractéristiques des produits financiers... »

Certes... Mais on ajoutera désormais à ce constat que si tant d'Américains ont contracté des crédits subprimes, c'est parce que la vente de ces crédits à risques a été non seulement permise (seule la Caroline du Nord est parvenue à les interdire), mais aussi encouragée politiquement et fiscalement par le gouvernement des États-Unis !ii Cet exemple parmi d'autres montre combien il est important de penser l'éducation financière dans une optique de protection des consommateurs, en conjuguant celle-ci à la régulation des acteurs financiers. Ainsi, l'éducation financière ne doit pas être un emplâtre sur une jambe de bois, mais la pierre angulaire d'une architecture économique désormais plus équilibrée, entre consommateurs d'un côté, secteur financier de l'autreiii. Cet équilibre, on aimerait le retrouver plus clairement dans le rapport de la CBFA.

L'éducation financière, dans quel but ?

Sur cette base, il convient de définir l'objectif sociétal de l'éducation financière. Au chapitre 5 de son rapport, la CBFA énumère « les raisons pour lesquelles il convient d'améliorer les connaissances financières du public » :

  • bénéfices pour les individus : prendre conscience de la valeur de l'argent, être en mesure de le gérer selon ses moyens ;
  • bénéfices pour la société : remédier à l'exclusion financière, aider à développer les compétences des financiers de demain ;
  • bénéfices pour l'économie : contribuer à la stabilité financière en augmentant la diversité et donc la sécurité de l'épargne et des investissements, inciter le secteur financier à être plus efficace et à mieux répondre aux besoins des consommateurs ; contribuer au financement des entreprises ; accroître le poids des associations de consommateurs dans l'élaboration des réglementations.

Cependant, au chapitre 4 de son rapport, la CBFA relève ce qu'ont révélé les enquêtes annuelles publiées par L'Écho et De Tijd en 2006 et en 2007 : « de tous les facteurs qui ont une influence sur notre perception du bonheur, l'argent vient en dernier lieu. Une bonne santé, des amis, un boulot intéressant, des enfants et des loisirs : voilà ce que les Belges trouvent plus important que l'argent dans leur vie ». Et L'Écho de juger l'attitude des épargnants belges « laxiste », dans son enquête de 2008, tout en reconnaissant que son goût pour la sécurité « se révèle plutôt positif dans la période que nous traversons... »iv.

Ne devrait-on pas se réjouir de cet ordre de priorité qui rappelle, à l'échelle individuelle, que l'argent est un outil et non un but en soi ? Au plan macro-économique aussi, les indicateurs purement économiques comme le PIB sont remis en cause au profit de mesures, comme l'indice de développement humain, qui intègrent des paramètres tels que l'éducation ou l'équité socialev.

Dans la même logique, une politique d'éducation financière intégrée à un projet global de développement durable ne peut être élaborée sans formuler de but sociétal : assurer à l'économie son rôle redistributif en vue d'une plus grande justice sociale, la rendre compatible avec les limites des ressources planétaires.

C'est pourquoi l'éducation financière se doit d'allier au souci de la rentabilité ou de la sécurité des placements, la prise en compte de leurs impacts sociaux et environnementaux. La sensibilisation à la gestion des risques ne se limite pas aux seuls risques financiers. La lutte contre l'exclusion financière ne vise pas uniquement l'inclusion de tous dans le marché global, mais avant tout le mieux-être des personnes et leur sécurité d'existence.

Ces objectifs croisés semblent aller de soi, cependant ils n'apparaissent ni dans le rapport de la CBFAvi, ni dans les huit principes établis par la Commission européenne et l'OCDEvii. De même, ces instances appellent à intégrer l'éducation financière dans les programmes de l'enseignement sans prendre en compte l'objectif global de celui-ci : former des citoyens, et non pas seulement des consommateurs.

L'éducation financière, avec qui ?

En juin 2008, le Réseau Financement Alternatif a rencontré les responsables pédagogiques des différents réseaux de l'enseignement secondaire de plein exercice, en vue d'évaluer leur intérêt pour des outils d'éducation financière. Leur réponse a été unanime : les outils élaborés par les acteurs sociaux et économiques sont les bienvenus dans les écoles à condition d'avoir été élaborés en collaboration avec des enseignants. C'est ce à quoi s'emploie le Réseau Financement Alternatif en vue de produire un jeu d'éducation financière qui sera largement diffusé à partir de 2010.

Il serait intéressant que ces responsables pédagogiques de l'enseignement de plein exercice réagissent, eux aussi, au rapport de la CBFA sur la promotion des connaissances financières en Belgique, soumis à consultation jusqu'au 31 décembre 2008.

De même pour les acteurs sociaux, de l'éducation permanente et de l'insertion socio-professionnelle : pour que les politiques d'éducation financière intègrent celle-ci dans une perspective de développement durable, il importe que toutes les parties prenantes soient associées à l'élaboration du plan d'action suggéré par la CBFA. Celle-ci souhaite d'ailleurs créer un institut spécialisé sur le modèle français de l'Institut pour l'éducation financière du public (IEFP)viii. Un tel institut permettrait d'associer ces différentes parties prenantes à la mise en oeuvre de programmes de sensibilisation et d'éducation fondés sur un large consensus quant à leur finalité sociétale.

Conclusion

La consultation que lance la CBFA jusque fin décembre 2008, à propos de son Rapport sur la promotion des connaissances financières en Belgique, constitue, en définitive, une excellente opportunité : celle de rappeler que l'éducation financière doit être orchestrée dans une optique de protection des consommateurs, et conjuguée à la régulation des acteurs financiers. Qu'elle doit s'intégrer dans une démarche globale d'éducation à la citoyenneté et au développement durable. Et enfin, que, pour assurer ces objectifs, la collaboration de toutes les parties prenantes est indispensable.

Antoinette Brouyaux, novembre 2008

 

i http://www.cbfa.be/fr/press/html/2008-10-24_promotion.asp En introduction de ce rapport, et afin de permettre à tous les acteurs concernés par ce sujet de formuler leurs remarques sur le texte, la CBFA a lancé une consultation ouverte jusqu'au 31 décembre 2008.

ii Paul Jorion, L'implosion - la finance contre l'économie – ce que révèle et annonce la crise des subprimes, 2008, éd. Fayard — p.107 – p.156-157 – info : www.pauljorion.com

iii Olivier Jérusalmy, « Éducation financière : principes et priorités »,

http://www.financite.be/publications/mes-articles/education-financiere-principes-et-priorites,fr,326.html

iv Enquête « Le Belge et son argent », publiée dans L'Écho des 21/10/2006, 20/10/2007 et 25/10/2008.

v Indice proposé par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) qui publie chaque année un Rapport mondial sur le développement humain (RMDH) – http://hdr.undp.org/en/francais

vi Ibid., chapitre 6, p. 29

vii Pour une meilleure éducation financière : enjeux et initiatives – Rapport OCDE 2005 http://www.oecd.org/document/2/0,3343,fr_2649_15251491_37608450_1_1_1_1,00.html

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