Les banques responsables du changement climatique?

2007
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Réseau Financité, (ex- Réseau Financement Alternatif)

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Les banques ont été sévèrement critiquées pour leurs pratiques en matière environnementale. Mais elles tentent, par ailleurs, de développer de bonnes pratiques en la matière. Plongée dans une réalité contrastée.

Un constat sans appel

En décembre 2005, un rapport sur les impacts environnementaux et sociaux massifs générés par le secteur financier européen, réalisé par Action Aid, Amnesty International, CAFOD, Christian Aid, The Corner House, Friends of the Earth, Global Witness, New Economics Foundation, Tax Justice Network et WWF a démontré, par sept études de cas, que le secteur financier n’assumait pas ses responsabilités en matière de changement climatique, de corruption, d’évasion fiscale, de pauvreté, d’exclusion sociale, de violation des droits humains et de dégradation de l’environnement. Il appelait les États européens et l’Union européenne à prendre des mesures législatives pour garantir que le secteur financier assume ses responsabilités et contribue à la création de sociétés durables.1

Un rapport français publié en 2006 par les Amis de la Terre fournit, quant à lui, une analyse détaillée des performances environnementales des plus grands réseaux bancaires français au regard des meilleures normes et pratiques françaises et internationales. Ses conclusions sont dures : parmi les huit banques françaises étudiées, aucune ne dispose d’une véritable politique environnementale, complète et précise. Les banques n’apportent pas la preuve qu’elles font de l’environnement la priorité qu’elles affichent toutes.2

Si la réputation et le sérieux de ces ONG n'étaient connus et appréciés, on pourrait croire qu'elles ont forcé le trait. Il semble au contraire que le secteur financier éprouve quelques difficultés à appréhender la problématique environnementale et à assumer sa responsabilité en la matière, même si les évolutions récentes sont de bon augure.

Les bonnes pratiques

Est-il si difficile pour les banques d'assumer leur responsabilité environnementale ? Manifestement pas, si l'on en croit de bonnes pratiques, malheureusement trop isolées, qui constituent autant d'exemples intéressants.

Ainsi, en 2005, HSBC – un des premiers groupes de services bancaires et financiers au monde, dont le siège social est à Londres, mais dont le réseau international compte plus de 9 800 implantations réparties dans 77 pays – est devenu la première banque au monde à être parvenue à un bilan carbone neutre pour ses émissions directes, en les réduisant de 10 % et en compensant le reste par l’achat d’électricité verte et de permis d’émissions.

Wells Fargo, une société de services financiers (banque, assurance, prêt, investissement) qui compte plus 23 millions de clients aux États-Unis, a acheté 550 millions de kWh générés par des éoliennes. Il s’agit du plus gros achat de crédits énergies renouvelables aux États-Unis en 2006.3

Toujours aux États-Unis, Bank of America a pris l’engagement de comptabiliser puis réduire de 7 % les émissions indirectes de gaz à effet de serre de son portefeuille d’investissement «énergie», tandis que JPMorgan Chase a adopté en 2005 une politique qui vise à demander à ses clients de mesurer et publier leurs émissions et d’adopter des plans de réduction de ces émissions.

Le développement de fonds d'investissement socialement responsable (ISR), respectueux notamment du respect de critères environnementaux par les entreprises qu'ils financent, est également une réponse appropriée du secteur bancaire. Un exemple frappant : la société de gestion financière britannique Henderson a demandé à la société spécialisée Trucost de mesurer les émissions de CO2 des sociétés détenues par l'un de ses fonds ISR. Verdict ? Ces émissions étaient en 2005 de 43 % inférieures à celles des entreprises qui composent l'indice MSCI World. 4

Dans la même veine, en novembre 2006, Fortis Investments a annoncé son intention d'appliquer une méthode développée par la société Trucost pour quantifier et évaluer les bénéfices environnementaux des technologies durables dans les domaines de l’énergie propre, de l’eau et des déchets pour l'un de ses fonds ISR. Un bénéfice environnemental apparaît lorsqu’une technologie alternative réduisant le recours aux ressources environnementales est utilisée à la place de technologies traditionnelles, créant ainsi un bénéfice équivalent au coût évité.

En 2006, Fortis a par ailleurs été classé meilleur élève pour sa manière d'aborder la question des changements climatiques dans une enquête mondiale menée par le Carbon Disclosure Project5. Cette étude s'est basée sur les rapports relatifs aux émissions de gaz à effet de serre remis par les plus grandes sociétés internationales ainsi que sur un rapport d'évaluation indépendant sur la stratégie en matière de changements climatiques et la gestion des risques.

Développer des stratégies globales

Les exemples de bonnes pratiques montrent que les banques ne sont pas démunies en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Encore faut-il intégrer de bonnes pratiques, parfois éparses, dans des stratégies globales.

Pour les Amis de la Terre, il existe quatre priorités :

  1. La première est que toutes les banques mettent en place une politique de transparence exigeante. L’opacité accroît légitimement les doutes sur la réalité des efforts fournis. Elle nourrit l’argument que les engagements ne dépassent pas le stade de l’affichage et la rhétorique.
  2. La deuxième concerne les composantes environnementales des politiques d’investissement et de financement, qui doivent être renforcées d’urgence dans leurs trois composantes : politiques d’investissement sectoriel, screening des entreprises clientes, épargne et prêts environnementaux.
  3. La troisième priorité est l’établissement d’objectifs, moyens et échéanciers clairs, publics et mesurables, permettant de fixer des orientations lisibles.
  4. Enfin, la dernière priorité consiste à renforcer la formation interne en matière environnementale.6

Dans une communication du 12 décembre 2007, Banktrack7 considère qu'en réponse aux défis du changement climatique, toutes les banques devraient développer, en consultation avec les organisations de la société civile et d'autres parties prenantes, une politique complète et transparente en matière de climat. Cette politique devrait inclure des stratégies qui visent trois objectifs : se retirer de toutes les activités qui contribuent directement et sensiblement au changement climatique, réduire l'impact climatique de tous les prêts et investissements accordés et financer la transition vers une économie fondée sur des émissions de gaz carbonique nulles ou faibles.

D'abord, se retirer de toutes les activités qui contribuent directement et sensiblement au changement climatique. Si les banques veulent jouer un rôle positif en facilitant une transition vers une économie fondée sur des émissions de gaz carbonique plus faibles, elles doivent progressivement, en vertu de calendriers précis, arrêter de soutenir financièrement de nouveaux projets d'extraction de pétrole, de charbon et de gaz et de livraison de ceux-ci. Une stratégie globale sérieuse en matière de réduction d'émission de gaz à effet de serre implique une réduction draconienne de l'usage du charbon, qui doit commencer immédiatement, car toute nouvelle centrale à charbon a une vie utile de l'ordre de 50 ans au moins. Les banques doivent donc immédiatement retirer leur soutien aux centrales à charbon. Enfin, si la combustion des combustibles fossiles produit actuellement la plus grande part des émissions de gaz à effet de serre à travers le monde, plusieurs autres activités et secteurs économiques causent également des dommages significatifs au climat. Les banques devraient tenir compte de ces impacts quand elles sont engagées dans ces activités et secteurs et devraient cesser de soutenir les activités dont l'impact négatif est le plus élevé. Les activités et les secteurs visés sont notamment la gestion des forêts, l'agriculture et les transports.

Outre un retrait de toutes les activités qui contribuent directement et sensiblement au changement climatique, il est demandé aux banques de réduire l'impact climatique de tous les prêts et investissements accordés. D'abord, pour expliquer entièrement leur empreinte climatique, les banques devraient mesurer et faire rapport sur les émissions de gaz à effet de serre liées aux services financiers qu'elles fournissent à leurs clients. Ensuite, elles devraient se fixer des objectifs de réduction de ces émissions. Enfin, les banques devraient développer et mettre en application les outils appropriés pour s'assurer qu'elles atteignent ou excèdent leurs objectifs de réduction d'émission.

Il est enfin demandé aux banques de financer la transition vers une économie fondée sur des émissions de gaz carbonique nulles ou faibles. Elles devraient développer une stratégie proactive pour investir dans des programmes et des projets d'énergie renouvelable et d'efficacité énergétique. Les banques devraient en outre développer pour leurs clients une gamme de produits et services consacrés à l'amélioration du climat, comme des programmes visant à aider les consommateurs à acheter des maisons et des appareils offrant le meilleur rendement énergétique ou à investir leur épargne de manière plus favorable pour le climat. Les banques pourraient enfin exiger de leurs clients actifs dans l'immobilier de respecter des critères rigoureux d'efficacité énergétique et de structurer leurs investissements pour améliorer cette efficacité.8

Et en Belgique ?

Parmi les banques présentes en Belgique, le Crédit agricole, ING et ABN AMRO reçoivent de Bantrack une note de 1 sur 4 ; ce qui signifie que ces institutions financières reconnaissent leur responsabilité dans les émissions de gaz à effet de serre qu'elles financent, mais qu'elles n'y apportent pas de réponse.

Fortis, Dexia et KBC reçoivent, quant à elles, une note de 2 sur 4, ce qui les place dans le lot de tête du secteur. Cette notation signifie que soit elles intègrent dans leur stratégie l'objectif de mesurer et de réduire les émissions de gaz à effet de serre dans les projets qu'elles financent, soit qu'elles prennent des mesures concrètes pour déplacer les financements qu'elles accordent vers les énergies renouvelables et les économies d'énergie.9

Conclusions

Comme on le voit, si le tableau belge n'est pas franchement mauvais, il est loin d'être bon et les banques belges pourraient redoubler d'effort pour intégrer la lutte contre le réchauffement climatique dans leur stratégie d'entreprise. Les exemples et les outils font florès en la matière. Seule la volonté peut, le cas échéant, faire défaut. Aux parties prenantes du monde bancaire – et en premier lieu aux clients – de donner de la voix pour attiser une volonté encore trop incertaine!

 

1 “A Big Deal : Corporate Social Responsability and the Finance Sector in Europe”, décembre 2005, http://www.amisdelaterre.org/IMG/pdf/a_big_deal_-_uk_ngos_dec_05.pdf

2 « Banques françaises et environnement : presque tout reste à faire », février 2006, http://www.amisdelaterre.org/IMG/pdf/Rapport_banques_et_envt_fev_06-3.pdf

3 “Top Five Socially Responsible Investing News Stories of 2006”, http://www.socialfunds.com/news/article.cgi/article2197.html

5 Le Carbon Disclosure Project(CDP regroupe investisseurs et assureurs déterminés à faire pression sur les entreprises pour qu’elles maîtrisent leur « risque carbone » au même titre que d’autres risques liés à la pollution.

6 « Banques françaises et environnement : presque tout reste à faire », op.cit.

7 BankTrack est un réseau d’organisations non gouvernementales (ONG) et d’individus qui surveille les opérations du secteur financier privé (banques commerciales, investisseurs, compagnies d’assurance, fonds de pension) ainsi que les impacts de ses opérations sur l’Homme et la planète.

8 A Challenging Climate, What international banks should do to combat climate change, 2007.

9 Banktrack, Mind the gap, Benchmarking credit policies of international banks, décembre 2007.

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