
« L'ère du secret bancaire est révolue ».
Nicolas Sarkozy – communiqué final du G20 à Londres, 2 avril 2009
En bref :
- Les paradis fiscaux constituent un lourd manque à gagner pour les États.
- Depuis 2010, la Belgique s'est dotée de nouvelles règles de lutte contrel'évasion fiscale.
Les paradis fiscaux ne taxent que trèspeu voire pas du tout des sociétés – appartenant à un secteur spécifique ou pas – qui y sont installées, mais qui sont en réalité actives dans un autre pays (les sociétés offshore). Ils créent ainsi un sévère manque à gagner et un report de la fiscalité sur les consommateurs et les PME, qui subissent un taux d'imposition réel sur leurs bénéfices de 21 % – contre 13 % pour les grandes entreprises bénéficiaires de l'évasion fiscale (1). Chaque année, environ 800 milliards d'euros (2) s'échappent des pays du Sud et sont détournés vers les paradis fiscaux, ce qui représente un manque à gagner de 125 milliards d'euros de recettes fiscales qui pourraient être investis dans la santé ou l'éducation, déclare Mathilde Dupré, chargée de plaidoyer pour l'ONG CCFD-Terre Solidaire. « Paradis fiscal » rimant également avec « opacité totale », ils offrent des instruments de blanchiment à l’argent mafieux et favorisent la corruption.
Les dispositifs de lutte
En 1989, le G7 a mis en place le Groupe d’action financière (GAFI) pour lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Le GAFI a adopté 49 recommandations et vérifie chaque année leur application par ses 33 États membres. Malheureusement, le GAFI n'a pas de force juridique contraignante et la « liste noire » des pays et territoires non coopératifs (PTNC) s'est totalement vidée depuis que la Birmanie en est sortie en octobre 2006 (3). C'est en réalité un succès très relatif puisque, pour sortir de la liste, il suffisait d’adopter les textes recommandés. À son tour, l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) a mis en place au milieu des années 1990 un Forum sur les pratiques fiscales dommageables. Sont ainsi stigmatisés les pays et territoires pratiquant une imposition faible ou nulle, autorisant l’existence de sociétés- écrans et refusant de façon chronique l’échange de renseignements. Trente-cinq « paradis fiscaux » sont mis à l’index en juin 2000. Pour sortir de la liste, ils doivent lever le secret concernant les bénéficiaires réels des sociétés, trusts… et pratiquer effectivement l’échange d’informations. La dynamique est considérablement freinée en 2001 par la contre-offensive menée par un groupe de places offshore et surtout par l’arrivée au pouvoir des républicains aux États-Unis, auxquels les lobbies du pétrole et de l’armement font valoir l’intérêt de l’évasion fiscale. Depuis, il restait en 2008, trois « paradis fiscaux non coopératifs » (Andorre, le Liechtenstein et Monaco). De son côté, le G20 d’avril 2009 a pris plusieurs décisions essentielles pour lutter contre les paradis fiscaux, mais la liste noire qui en est ressortie a perdu de sa légitimité aux yeux de la société civile vu l'absence de territoires régulièrement cités pour leurs pratiques douteuses en matière fiscale ou financière (Hong Kong, Jersey, Guernesey, l’île de Man, l’Irlande, etc.). Pour le réseau d’ONG et d’experts Tax Justice Network (TJN), la liste des « territoires opaques » compte 60 pays (au nombre desquels la Belgique occupe la neuvième place).
Et en Belgique ?
L'État belge a pris des dispositions visant l'imposition des sociétés établies dans des États qui n’appliquent pas effectivement et substantiellement le standard OCDE en matière d’échange d’informations ou dont le taux nominal d’impôt des sociétés est inférieur à 10 %. Depuis le 1er janvier 2010, les paiements qu’une société effectue directement ou indirectement à des personnes établies dans les paradis fiscaux visés ne sont en effet plus déductibles au titre de frais professionnels lorsque la société omet de déclarer ces paiements sur le formulaire ad hoc ou ne peut justifier que ces dépenses répondent à des opérations réelles et justifiées. Il est encore trop tôt pour évaluer les effets des nouvelles dispositions prises en Belgique, mais une chose est sûre, elles indiquent que les bonnes intentions exprimées dans les enceintes internationales n'ont pas, à ce jour, été transformées dans la réalité. Sans doute faudra- t-il qu'elles s'accompagnent d'une dose suffisante de courage politique pour qu'elles soient réellement mises en oeuvre.
1. Manuel Domergue, Paradis fiscaux: rien n'est réglé!, Alternatives Economiques n° 298 - janvier 2011.
2. Selon une étude de l'ONG américaine Global Financial Integration.