Le crédit à la consommation : outil fantastique à double tranchant
Ce matin, dans le métro, je suis interpellée par ce gros crapaud qui me sourit depuis son panneau publicitaire et m’invite en ces termes : « Augmentez votre pouvoir d’achat, allégez votre charge mensuelle ! » Ensuite, alors que je fais mes courses, je découvre avec surprise qu’avec la carte Untel émise par mon supermarché de prédilection, je peux « payer mon caddy en 3 fois sans frais ». Un crédit en ces temps financièrement difficiles, ce serait donc ça la solution ?
S'il est évident que le crédit à la consommation, qui offre à chacun la possibilité d’étaler ses dépenses au gré de ses préférences et des événements inopinés de la vie, peut s’avérer essentiel dans le monde contemporain et constitue un rouage essentiel de notre économie, il convient néanmoins de ne pas négliger que celui-ci peut également, lorsqu’il n’est pas accordé de manière adaptée, faire plonger l’emprunteur dans une spirale de surendettement.
La crise du crédit qu'a initiée l’économie américaine démontre à suffisance que l’octroi irresponsable de crédits a des effets désastreux non seulement pour l’individu en tant que consommateur, mais également pour l’économie en général.
Or, force est de constater que la crise du crédit actuelle coïncide avec une hausse des prix des produits de consommation de base – comme les produits alimentaires et l’énergie – qui pèse sur le pouvoir d’achat des consommateurs.
Le recours au crédit en ces temps difficiles est-il une bonne ou une mauvaise chose ? Tout dépend bien entendu de la situation particulière du consommateur, des termes du produit souscrit, et de l’utilisation à laquelle le crédit est destiné.
Les développements actuels du marché du crédit et les lacunes qui subsistent en matière de protection du consommateur à l’égard de certains produits laissent néanmoins craindre un risque accru de voir le consommateur confronté à des crédits inadaptés à ses besoins, voire dangereux.
Le nombre de crédits à la consommation en Belgique augmente
Le consommateur a de plus en plus facilement accès au crédit en Belgique.
Ainsi, selon les dernières données relatives aux enregistrements de la Centrale des crédits aux particuliers collectés par la Banque Nationale de Belgique, fin juin 20081, 4.761 millions de Belges étaient enregistrés auprès de la Centrale des crédits, dont 3.643 millions pour au moins un crédit à la consommation.
Quelque 56 % de la population majeure ont au moins un crédit à rembourser, ce qui représente une augmentation de près de 10 % en quatre ans. Le nombre de contrats — environ 7.743 millions – est encore plus élevé. En outre, l’augmentation du nombre de contrats – de 15 % – est plus forte que celle du nombre de personnes ayant un crédit à rembourser. En 2007, pour chaque nouveau consommateur contractant un crédit venaient s’ajouter trois contrats de crédit. Fin juin 2008, près de 10 % des particuliers ayant emprunté avaient cinq contrats ou plus à rembourser.
Force est donc de constater que, d’une part, de plus en plus de consommateurs contractent un crédit à la consommation et que, d’autre part, les consommateurs contractent davantage de crédits.
L’ouverture de crédit : la formule la plus utilisée
Par ailleurs, on constate que ce sont les ouvertures de crédit qui occupent en nombre la plus grande partie de ce marché (crédits à la consommation et crédits hypothécaires).
L'ouverture de crédit, également appelée « credit revolving », « crédit renouvelable », « crédit permanent » ou « réserve d’argent », est une forme de crédit à la consommation qui se présente sous forme d’une ligne de crédit, c'est-à-dire un droit de tirage grâce auquel le consommateur peut librement emprunter, sans toutefois pouvoir dépasser le plafond déterminé par le prêteur. Le moment et le montant du remboursement restent à l’appréciation du consommateur une fois la ligne de crédit entamée – un remboursement mensuel minimum étant généralement imposé par le prêteur. La réserve financière proposée lors d’une ouverture de crédit est reconstituée au fur et à mesure des remboursements, ce qui permet au titulaire de réutiliser immédiatement les sommes remboursées, sans qu’un nouveau contrat de crédit soit conclu.
En quatre ans, le nombre de contrats d’ouverture de crédit a augmenté d’environ vingt pour cent, pour atteindre 3.589.993 unités, et cette croissance ne semble pas près de fléchir. Fin juin 2008, ces contrats représentaient un montant total de 10.685 milliards d’euros, soit presque un tiers du marché du crédit.
L’ouverture de crédit — une formule qui n’est pas sans risques
Le pourcentage de contrats d’ouverture de crédit défaillants est bien plus élevé que celui des autres types de crédit à la consommation.
L’analyse des nouveaux contrats permet de constater qu’il y a un problème insidieux au niveau des ouvertures de crédit. On observe en effet que 34,2 % des nouveaux contrats sont des ouvertures de crédit, mais que les ouvertures de crédit représentent 41,3 % des nouveaux arriérés de paiement. La ligne de crédit moyenne est de plus en plus élevée et a augmenté en 2007 de plus de 7 %, pour s’établir à 6.141 euros par contrat. Le montant moyen de l’arriéré a diminué légèrement l’an dernier et s’élève à 1.589 euros, mais simultanément, 5.758 contrats avec arriéré de paiement sont venus s’ajouter.
Ce recours accru aux ouvertures de crédits, observé depuis quelques années, soulève différentes critiques, liées directement à la nature du produit :
- son coût est généralement élevé, le taux annuel effectif global (TAEG)2 étant presque toujours fixé au maximum légal3, les TAEG maxima s'élevant actuellement à 17 % pour les ouvertures de crédit de plus de 1.250 euros et à 19 % pour ceux de moins de 1.250 euros ;
- contrairement aux prêts amortissables classiques, le taux à la souscription n’est pas garanti et rien ne garantit donc que le taux annoncé sera celui appliqué le jour de l’utilisation effective de l’argent, surtout si celle-ci a lieu quelques mois plus tard ;
- l’absence de plan fixe de remboursement et la possibilité offerte de puiser à tout moment dans la réserve d'argent sans qu'un nouveau contrat soit conclu nécessite que le consommateur dispose d’une importante capacité à maîtriser fermement son budget4 ;
- son obtention est souvent trop aisée et rapide et la réserve octroyée, qui dépasse souvent le besoin, constitue une tentation qui incite parfois le consommateur à éviter de réfléchir à la structure et à l'équilibre de son budget ou à l'utilité d'une dépense.
Par ailleurs, on constate que les contrats proprement dits sont de plus en plus souvent émis par des établissements qui ne sont pas des organismes de crédit. On observe également de manière générale que la proportion de contrats défaillants est plus importante chez ces derniers. Ainsi, les cartes de crédit des magasins sont une considérable source d'endettement des ménages. Ceux-ci ont accumulé 1,37 milliard d'euros de dette par leur biais, selon des chiffres du SPF Économie, soit une hausse de 13 % par rapport à 2006 et de 50 % par rapport à 2000.
Or, en 2006, les cartes de crédit qui n'émanent pas des banques représentaient déjà 65,9 % des quelque 4 millions de crédits ouverts via des cartes en Belgique5. Il s'agissait, pour une grande part, de cartes proposées par des supermarchés, des chaînes de distribution et des sociétés de vente par correspondance.
Cette pratique croissante soulève une seconde salve de critiques :
- Le vendeur travaillant dans un magasin, ou une grande surface n’étant pas un professionnel du crédit, il est très souvent incapable d’informer ou de conseiller correctement le consommateur quant au choix du crédit le plus adapté.
- L’objectif du vendeur étant de maximiser la consommation des produits du magasin pour lequel il travaille, n’existe-t-il pas un conflit d’intérêts alors que le prêteur est normalement obligé d’adapter le type de crédit proposé aux besoins du consommateur ?
- On constate actuellement que les vendeurs-intermédiaires de crédit proposent de plus en plus des crédits qui ne sont absolument pas liés à un achat dans leur enseigne, voire aux fins d’un rachat de crédit — jouant là un rôle de banquier qui n’est pas le leur !
L’omniprésence de ces formules de crédit disponibles dans les magasins, les grandes surfaces, via les achats par correspondance, etc., et la facilité avec laquelle elles sont octroyées rend la tentation d’autant plus forte et constitue un argument de vente de poids pour les enseignes, qui en usent et en abusent largement !
Crise du pouvoir d’achat et risque de crédit inadapté
Si, pour les ménages à revenus modestes qui ne disposent pas de liquidités suffisantes, le crédit à la consommation, et plus particulièrement l’ouverture de crédit, permet d’anticiper un revenu qui n’a pas encore été perçu et de donner ainsi un accès immédiat à des biens ou des services, il est néanmoins communément admis que le choix de l’ouverture de crédit n’est adapté que pour un besoin temporaire de liquidités.
L’ouverture de crédit n’est un crédit adapté aux besoins du consommateur que si le montant du crédit consenti est adapté aux revenus du consommateur, qui doit être en mesure de le rembourser dans un délai très court. Par ailleurs, s’il s’agit de financer des achats ou des services, l’ouverture de crédit ne sera adaptée que si elle a la même durée de vie que ces biens et ces services.
Dans le contexte de crise financière et économique que l'on connaît actuellement, il est légitime de craindre une multiplication d'ouvertures de crédit inadaptées pouvant entraîner des conséquences désastreuses.
En effet, la crise financière pousse les établissements bancaires dits « classiques » à faire preuve de plus de vigilance dans l’octroi de crédit, risquant de jeter bon nombre de personnes dans les bras de prêteurs moins scrupuleux.
Parallèlement à cela, la crise du pouvoir d’achat due à l’augmentation du coût de la vie se fait sentir pour de nombreux ménages qui éprouvent davantage de difficultés à joindre les deux bouts.
Ceux-ci étant, dans le même temps, de plus en plus confrontés à des offres de crédits « faciles » – mais très chers – par le biais de publicités de plus en plus agressives, la tentation est forte d'avoir recours à l'ouverture de crédit non plus pour l’acquisition ponctuelle d’un bien ou d’un service précis, mais bien de manière structurelle et récurrente pour satisfaire des besoins quotidiens (alimentation, électricité, soins de santé) ou pour rembourser un prêt à tempérament, regrouper des dettes, acheter une voiture, financer un abonnement dans une salle de fitness, etc. Dans ces cas, l'ouverture de crédit permet de camoufler pour un temps un déséquilibre structurel dans le budget du ménage, en permettant de faire face à des dépenses plus élevées que les revenus.
Dès lors qu’une ouverture de crédit est octroyée pour une durée indéterminée, le risque d’installer le consommateur dans un endettement permanent est alors non négligeable.
Conclusion
En cette période de crise du pouvoir d’achat que nous connaissons actuellement en Belgique, la nécessité de sensibiliser les consommateurs aux risques du crédit inadapté et de réguler l’usage de telles pratiques, clamée depuis plusieurs années par les acteurs de terrain dans le domaine du surendettement, est indéniablement accrue.
Gageons que la « mise sous les projecteurs » de cette problématique, qui s’inscrit sans conteste dans le contexte plus large de la crise financière, incitera nos mandataires publics à proposer des mesures pour faire taire les sirènes du crédit facile, dont il conviendra de suivre de près les développements dans les mois qui viennent.
Lise Disneur - Octobre 2008
1 Rapport Statistiques de la Centrale des crédits aux particuliers - 2007 actualisé au 30 juin 2008, Banque Nationale de Belgique.
2 Qui comprend le taux d'intérêt débiteur et les frais annexes au contrat (frais de dossier, assurance solde restant dû).
3 L’arrêté royal du 19 octobre 2006 (Moniteur belge 31.10.2006.) entré en vigueur le 1er février 2007, a instauré une nouvelle grille des taux annuels effectifs globaux maxima et a mis en place un système d'adaptation automatique des taux maxima. L’adaptation est fonction de l’évolution de certains indices de référence du marché financier. Cette évolution est examinée tous les 6 mois, à la fin du mois de mars et de septembre, et donne lieu à une adaptation de taux lorsque l’indice varie d’au moins 0,75 %. Le ou les taux adaptés sont publiés sans délai au Moniteur belge et entrent en vigueur le 1er jour du 2ème mois qui suit la publication. Une première adaptation de + 1 % de l’ensemble des TAEG maxima est entrée en vigueur le 1er juin 2007. Une seconde adaptation de + 1 % est intervenue le 1er décembre 2007 pour les TAEG maxima des ouvertures de crédit. Celle-ci est toujours d'application. Les TAEG maxima s'élèvent actuellement à 17 % pour les ouvertures de crédit de plus de 1.250 euros et 19 % pour ceux de moins de 1.250 euros.
4 Ainsi, celui qui s’en tient à rembourser des montants peu élevés remboursera essentiellement des intérêts, laissant la dette de capital quasiment intacte.
5 Working Paper document nº 78 - janvier 2006 – BNB- Crédits aux particuliers - analyse des données de la Centrale des crédits aux particuliers, pages 14 à 20.