L'État et les banques : je t'aime moi non plus !

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03/2009
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FINANcité Magazine N°13

Auteur(s): 

Editeur: 

Réseau Financité, (ex- Réseau Financement Alternatif)

Type de document: 

Les pouvoirs publics, dernier rempart de nos économies ? On a réappris ces derniers mois que leur intervention dans le secteur financier est parfois indispensable. Mais doit-elle se borner au rôle de pompier en cas d'incendie ? N'est-il pas temps de redonner aux États un rôle d'acteur prépondérant dans la régulation économique ? Un peu d'histoire et de géographie apportent à ce débat un éclairage utile.

Intervention, retrait... Oscillation inéluctable ?

Septembre 2008

Ping : les États-Unis refusent de sauver Lehman Brothers qui annonce dès lors son placement sous la protection de la loi sur les faillites. Cet événement déclenche un effet domino qui entraîne de nombreuses banques, réputées inébranlables, dans la tourmente.

Octobre 2008

Pong : certaines banques sont sauvées grâce à l’intervention des pouvoirs publics. Rien qu’en Belgique, plus de 20 milliards d’euros sont consacrés à renflouer le secteur bancaire.

Score final : l’État, qui a abandonné progressivement son rôle et ses prérogatives en matière de régulation financière, accordant une confiance aveugle à la main invisible du marché, réapparaît tout à coup comme le dernier rempart des marchés financiers. Jusqu’au prochain match ?

Le modèle « banque publique »

Pourquoi ne pas pérenniser le rôle de l’État en recréant des banques publiques centrées sur leur métier de base ? Cette idée n’est ni neuve... ni vieille, comme en attestent deux exemples : celui de la Caisse générale d’épargne et de retraite (C.G.E.R) et celui de la Kiwibank néo-zélandaise.

L’histoire d’une banque publique belge : la C.G.E.R.

8 mai 1850

L’État belge vote une loi instituant une caisse générale de retraite, afin de permettre aux personnes prévoyantes de constituer une petite pension pour leurs vieux jours, au moyen de versements volontaires, sous garantie de l’État. À cette époque, la Belgique connaît une grave crise économique, agricole et sociale, au point que le nombre de pauvres obligés de faire appel aux associations publiques de bienfaisance s’élève à 941 326 personnes sur un total de 4 350 000 habitants. La dite loi ne donne guère de résultats significatifs parce que les salaires sont trop bas. Quelques années plus tard, cette Caisse de retraite est annexée à la Caisse générale d’épargne...

16 mars 1865

La Caisse générale d’épargne et de retraite est officiellement créée. Les libéraux de l’époque, tel Frère-Orban, défendent cette mesure interventionniste critiquée par les catholiques, en avançant des arguments d’ordre idéologique, politique, financier et économique : il s’agit, selon eux, de créer un climat propice aux in investissements par l’élargissement du crédit, au profit de la bourgeoisie.

Pour ce faire, Frère-Orban préconise l’intervention gouvernementale, la garantie d’État, la diversification des investissements et l’accès accordé à toutes les classes sociales.

Jusqu’en 1950, la CGER jouit d’un quasi-monopole de fait dans la collecte de la petite épargne. Puis les techniques de gestion se modernisent : les réseaux de terminaux bancaires qui regroupent les informations dans des bases de données permettent aux agences bancaires de fournir un meilleur service, d’où leur expansion. À cela s’ajoute une croissance économique qui voit s’accroître le niveau de vie de la population.

Ce sont les golden sixties. Les banques s’intéressent de plus près aux petits épargnants, constituant un marché plein de potentialités.

La concurrence s’exacerbe, d’une part entre les banques privées et la CGER., d’autre part entre la CGER et d’autres institutions publiques, tel le Crédit communal.

Les années 90... Vues depuis l’an 9

La C.G.E.R. est acquise par le groupe Fortis entre 1993 (50 %), 1997 (75 %) et 1999 (100 %). Le Crédit à l’industrie est, lui, englobé par cegroupe en 1995, puis vient le tour de Mees-Pierson en 1997 et de la Générale de banque en 1999.

Neuf ans plus tard, l’État belge se retrouve à devoir injecter, via la Société fédérale de participations et d’investissement (SFPI), quelque 4,8 milliards d’euros au capital de l’entité bancaire belge (Fortis Banque SA), dont il a ainsi acquis 49 % – les États néerlandais et luxembourgeois intervenant eux aussi au capital des branches néerlandaise et luxembourgeoise du groupe. Au total, l’argent public injecté atteint la somme de 7 milliards.

Avec le recul, on se demande pourquoi la caisse d’épargne publique a été vendue à une société commerciale… que l’État doit renflouer 15 ans plus tard afin d’éviter la faillite. La question se pose sur le plan social – qu’en est-il de l’accès pour tous à des services financiers de qualité ? –, mais aussi sur le plan de la rationalité économique. Une banque publique est-elle concevable dans un environnement concurrentiel ? L’exemple récent de la Kiwibank

néo-zélandaise semble prouver que oui.

La Kiwibank en Nouvelle-Zélande

1987-1993

En 1987, en Nouvelle-Zélande, une réforme postale fait disparaître les services financiers postaux. Cinq ans plus tard, en 1992-1993, la Poste néo zélandaise décide de redéployer des points de vente, pour ses propres services et pour des services financiers tiers. Ce dispositif conquiert rapidement une part importante du marché du traitement et du paiement des factures au guichet. Entre-temps, cinq grandes banques (ANZ, ASB, National Bank, Westpac, BNZ), toutes étrangères, sont parvenues à dominer le marché bancaire en Nouvelle- Zélande.

2002-2003

Dans ce contexte concurrentiel, la Poste néozélandaise lance la Kiwibank, investissant 80 millions de NZ$ (31,8 millions e), et réintroduit ainsi des services financiers dans les communautés rurales et les banlieues délaissées par les banques privées. La Kiwibank a deux actionnaires principaux, la Poste et The Crown (l’État).

Fin 2003, la Kiwibank compte 287 succursales (plus que toute autre banque dans le pays), dont 220 sont ouvertes le samedi et 29 le dimanche. Seule banque présente dans de nombreuses petites villes, elle a conquis 150 000 clients en moins de deux ans (elle en attendait 165 000 au bout de trois ans). La Kiwibank détient désormais 450 millions de NZ$ (178,6 millions €) de dépôts à vue et 500 millions de NZ$ (198,5 millions e) de crédits immobiliers. Ses clients se recrutent parmi les familles et les jeunes.

Le « credo » de la Kiwibank : banque de détail pour les particuliers, elle mise sur la proximité, les tarifs et la transparence, comme d’autres banques postales. Mais elle apporte aussi son soutien à l’économie locale en conservant ses profits sur place. Forte de son leitmotiv, « nous ne traitons pas les gens comme des numéros, mais comme des personnes, avec lesquelles il faut négocier », la Kiwibank combine accessibilité et qualité de l’information délivrée aux clients. Elle pratique des tarifs imbattables, jusqu’à 50 % inférieurs à ceux de la concurrence : pas de frais d’ouverture de compte ni de taxe de tenue de compte ; pas de frais de dépôts et de virements ; pas de frais supplémentaires pour faire tenir sa comptabilité par la banque...

Divers avantages tarifaires sont également accordés aux clients qui reçoivent des subsides des pouvoirs publics, aux moins de 18 ans, aux étudiants et aux détenteurs d’un compte « Jeune », ainsi qu’aux détenteurs d’un prêt à la Kiwibank. La Kiwibank effectue pour les entreprises publiques et les ministères des transactions pour lesquelles elle est rémunérée, ainsi que des transactions de compensation pour le compte des banques « enregistrées » par la Banque centrale.

Juin 2006

La Kiwibank investit NZ$ 8 m (3,1 millions €) dans New Zealand Home Loans, un prêteur de prêts immobiliers se spécialisant dans la réduction de dette, dont elle devient ainsi l’actionnaire majoritaire.
En 2006, 2007, et 2008, la Kiwibank gagne les trois premiers Sunday Star Times/ Cannex banking awards qui récompensent la qualité de sa gamme de produits. Son taux de satisfaction de la clientèle est plus élevé que celui des quatre grandes banques commerciales australiennes. Son taux élevé de nouveaux clients (plus de 600 000 clients en 2009) dénote dans un marché dont les parts varient annuellement de 0,2 % seulement.

Janvier 2008

La Kiwibank annonce une croissance de son bénéfice de plus de 32,35% en un an. La Kiwibank représente 5 à 6 % de tous les dépôts au détail, 3 % du marché hypothécaire résidentiel et 5 % du marché de carte de crédit. La faiblesse de ses tarifs et sa politique de taux attractive sont rendus possibles à la fois par une aspiration modérée à réaliser des bénéfices, des coûts inférieurs et le fait que, jusqu’à présent, la banque ne doit pas emprunter sur les marchés monétaires étrangers, qui sont devenus coûteux depuis la crise des subprimes qui a secoué le monde. Enfin, la Kiwibank, n’ayant pas misé sur le marché spéculatif mondial, est totalement épargnée par la crise financière. Son succès inspire diverses initiatives, notamment en Belgique...

L’idée d’une banq ue publique ressurgit en Belgique !

Février 2008

On comprend que l’exemple néo-zélandais soit volontiers évoqué dans le monde postal pour souligner le caractère irremplaçable des services financiers postaux, pour les Postes elles-mêmes et plus encore pour la clientèle de leurs services financiers.

C’est ainsi que, le 2 février 2008, une pétition sous la bannière « Sauvons la Poste » est mise en ligne en Belgique (http ://petitions. agora.eu.org/sauvonslaposte/index.html). Émanant du parti communiste, elle convainc rapidement d’autres partis, centrales syndicales et mouvements d’éducation permanente.
Un an plus tard, cette pétition est soutenue par 7902 signatures.

Décembre 2008

Quelques jours avant Noël, une agence de la « Banque publique régionale » (BPR) ouvre ses portes dans une rue commerçante de Liège. Elle n’y restera ouverte que deux jours, le temps de sensibiliser plus largement l’opinion publique à l’idée qu’une banque publique pourrait bien exister à nouveau en Belgique, soit via le rachat de la banque de la Poste, soit via la nationalisation des activités bancaires de Fortis ou Dexia, par le biais d’une nouvelle structure 100 % publique ou en poussant plus loin la logique du gouvernement wallon qui annonce la création d’une banque d’investissement.
Cette initiative de la « Coordination D’autres Mondes », fédérant une soixantaine d’associations, s’appuie sur une pétition en ligne, http ://banque-publique.be, qui a atteint en un mois près de 700 signatures.

Cette pétition, adressée aux autorités fédérales et régionales wallonnes, prône une banque publique de proximité sur le modèle de la Kiwibank.

Comme le soulignent ses auteurs, « parallèlement à la récente crise, on constate avec la disparition progressive (fusions, privatisations…) des banques publiques et coopératives, une baisse du service rendu à la population. Les petites agences ferment, le coût des services financiers augmente (+ 13 % depuis 2004). Le petit client n’est plus une priorité... »

Cette pétition ne se prononce pas sur la faisabilité des divers scénarii avancés, mais soutient que « certaines activités économiques vitales pour la population doivent échapper aux lois du marché ».

Ces initiatives, plébiscitées par les représentants de la société civile et du monde du travail, permettent de relancer le débat sur l’opportunité de recréer en Belgique une banque publique sur les cendres de cette privatisation financière qui, c’est le moins que l’on puisse écrire, ne s’apparente pas à un grand succès !

L’État, un actionn aire responsable ?

Janvier 2009

À défaut de créer de nouvelles banques publiques, les États ont en tout cas nationalisé en tout ou en partie des banques existantes dans lesquelles ils ont investi des milliards d’euros, sous forme de participations. Les voilà avec une nouvelle responsabilité sur les bras, celle de l’actionnaire ! À ce titre, il leur faut veiller à la gestion responsable de ces entreprises. Mais ceux qui y représentent l’État ont aussi le droit de voter aux assemblées générales, et de soumettre à celles-ci des résolutions à caractère sociétal. C’est ce qu’on appelle « l’activisme actionnarial », un formidable levier pour permettre aux pouvoirs publics, garants de l’intérêt général, de jouer un rôle d’exemple en dotant les institutions financières dont ils sont actionnaires de directives éthiques dans leur politique d’investissement.

À ce titre, ils peuvent empêcher celles-ci de financer des entreprises et des États coupables d’actes prohibés par les conventions internationales ratifiées par la Belgique en matière de droit humanitaire, droits sociaux, droits civils, environnement et gestion durable. C’est, peu ou prou, ce qu’a fait l’État norvégien en définissant, en novembre 2003, des directives éthiques en matière d’investissement pour le Norwegian Government Petroleum Fund, qui rassemble une partie des revenus tirés de l’exploitation et de l’exportation des ressources pétrolières norvégiennes.

En Belgique, le Réseau Financement Alternatif a formulé une proposition, largement soutenue par la société civile, de norme légale définissant a minima l’investissement socialement responsable, afin d’en assurer la qualité et la promotion (voir p. 2-3). Libre aux actionnaires publics de s’en emparer. Qu’il agisse par le biais d’une banque publique ou en tant qu’actionnaire, l’État a en tout cas la possibilité de reprendre la main à l’égard d’un système financier qui a, ces dernières années, tenu davantage du casino que de l’outil économique. Et de remettre celui-ci en phase avec la réalité, en se préoccupant de ses impacts économiques, sociaux et environnementaux. Bref, de remettre la politique, c’est-à-dire l’organisation de la Cité, au centre du jeu.

Bernard Bayot

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