Mon toit et mes finances

11/2010
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Il était une fois les subprimes

Auteur(s): 

Editeur: 

Réseau Financité, (ex- Réseau Financement Alternatif)

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La crise financière de 2007-2008 a trouvé son origine dans les crédits immobiliers « subprime » aux États-Unis. De quoi s'agit-il ? Les banques et assurances classent leurs clients en non-prime, prime et subprime selon les risques estimés de défaillance de l’emprunteur, les subprimes étant les plus potentiellement défaillants : petits salariés, voire chômeurs. Des institutions financières, de moins en moins regardantes sur le profil de l’emprunteur, leur ont donc proposé des crédits avec un taux d’intérêt très élevé, de 4 à 5 points supérieur au taux normal. Ces prêts ont connu un grand succès, en particulier lorsque les taux d’intérêt de base étaient très faibles (inférieurs à 2 %, de 2002 à 2004).

Mais, à partir de 2005, ces taux de base sont rapidement montés, pour atteindre 5,25 % à la mi-2006, et de nombreux ménages emprunteurs ont alors connu des difficultés à rembourser leurs mensualités en hausse : près de 1,2 million de prêts immobiliers ont fait défaut en 2006, soit une augmentation de 42 % par rapport à 2005, avec, bien sûr, pour conséquence immédiate et dramatique, la mise en vente des logements, mais aussi la perte de valeur des obligations émises sur base de ces crédits, entraînant la crise financière que l'on a connue1.

Depuis l'éclatement de la bulle des titres subprime, 3,3 millions de logements ont fait l'objet d'une saisie en 2008, et 3,9 en 2009. Cette année, le chiffre devrait dépasser les 4 millions, malgré les mesures de l'Administration Obama, qui ont permis à 500 000 propriétaires de renégocier leur emprunt. Après un délai de 22 mois en moyenne, à la demande de l'organisme de crédit qui n'est plus remboursé, le shérif du comté procède à l'expulsion des membres du foyer concerné. En 2008-2009, 2,2 millions de personnes se sont retrouvées à la rue ; 1,2 million de personnes supplémentaires pourraient venir gonfler encore les statistiques d'ici à la fin de cette année 2.

L'exemple des subprimes pose évidemment la question de la qualité de l'activité de crédit: d'une part, celle-ci peut générer des revenus très élevés grâce à des taux d'intérêt usuraires, car les pauvres n'ont souvent pas d'autre solution et, d'autre part, les marchés de capitaux s’intéressent très sérieusement à ce marché des crédits aux pauvres, au moins pour spéculer sur la période durant laquelle ceux-ci sont encore en capacité de rembourser 3. Mais il pose aussi la question de l'opportunité d'accéder à la propriété immobilière.

Tous proprios ?

Aux États-Unis, ils étaient propriétaires à 70 % à la veille de l’explosion de la crise. Ils ne sont plus que 67 % en juin 2010 !4 Certes, les nouveaux propriétaires ont été victimes des pratiques de prêteurs peu scrupuleux, mais, par ailleurs, était-ce opportun qu'ils se lancent dans l’achat de leur logement ?

La question peut paraître saugrenue tant les gouvernements favorisent le fait d'être propriétaire avec des exemptions de taxes ou des aides à l'emprunt afin de faciliter l'accession à la propriété. Que l'on pense au projet de « société de propriétaires » porté par le président républicain George W. Bush (2001-2009) et dont les graines avaient été semées par son prédécesseur, le démocrate Bill Clinton, avec sa Stratégie nationale pour la propriété, lancée en 1994. Le but était alors de porter à 67,5 % le taux des ménages propriétaires de leur logement en 2000. L'objectif sera atteint et M. Bush voudra aller encore plus loin et « faire accéder tous les Américains à la propriété », y voyant l'achèvement du rêve américain. Plus près de chez nous, en France, la réforme des aides à l'accession à la propriété, annoncée en septembre dernier par Nicolas Sarkozy, vise à augmenter le taux de propriétaires de 58 % à 70 %, grâce, principalement, au nouveau prêt à taux zéro qui sera « ciblé sur les nouveaux primo-accédants », « universel » c'est-à-dire « accordé sans condition de revenu » et « plus favorable pour les familles avec enfants »5.

Depuis l'enfance, on nous assène qu'il est malin d'être propriétaire. Le Belge n'a-t-il d'ailleurs pas une brique dans le ventre ? Et ne dit-on pas que plus on possède, plus on gagne d'argent ? Un des meilleurs vecteurs de cette vérité universellement admise est le Monopoly, où en jouant on peut rêver d'acheter des rues entières. Ce que l'on sait moins, c'est que ce jeu a été inventé en 1903 par Elizabeth « Lizzie » Philips, une idéaliste de gauche qui prétendait stigmatiser, avec son jeu, la petite minorité de propriétaires qui vit de la sueur des locataires. Une trentaine d’années plus tard, le jeu sera perfectionné par Charles Darrow, chômeur, qui colorie le plateau, y dessine les rues d’Atlantic City et sculpte lui-même les maisons miniatures en bois, avant que le jeu ne soit finalement racheté en 1935 par un fabricant de jeux de plateau et ne connaisse le succès mondial que l'on sait6.

Pour autant, la question de l'opportunité de devenir propriétaire doit être posée. Car une augmentation du taux de propriétaires, c'est-à-dire de la proportion des ménages qui sont propriétaires de leur logement, peut avoir plusieurs origines. Il peut s'agir d'une augmentation des revenus qui favorise cet accès à la propriété, auquel cas, sauf baisse ultérieure de ceux-ci, l'acquisition peut être justifiée. Mais il arrive, comme cela a été le cas aux États-Unis, que la hausse du taux de propriétaires soit due au fait qu'un certain nombre d'acheteurs ont tenu à bénéficier de taux d'intérêt bas, susceptibles de remonter en flèche par la suite.

De ce fait, un taux élevé de propriétaires couplé à une augmentation du taux de prêts à risques peut signaler une bulle gonflée par l'endettement. On observe, à cet égard, que les pays où la crise immobilière a été la plus violente sont ceux qui connaissent un taux de propriétaires élevé : États-Unis (67 %), Royaume-Uni (71 %), Espagne (84 %), Irlande (77 %), contre 45 % seulement en Allemagne ou 37 % en Suisse, deux pays à l'abri de la tempête7. À noter qu'en Flandre et en Wallonie le taux de propriétaires n'a cessé d'augmenter depuis la Deuxième Guerre mondiale pour atteindre 70 % environ aujourd'hui. À Bruxelles, il plafonne à 40 % depuis le début des années nonante8.

Le mirage espagnol

Parmi les crises immobilières les plus importantes, celle qu'a connue l'Espagne. C'est que l’économie espagnole s’est construite autour du bâtiment. À l'époque franquiste, le secteur du logement et celui du tourisme dominaient l'économie espagnole. Une panoplie d'avantages fiscaux conséquents fabriquait des générations de propriétaires. Cette politique pèse encore lourdement sur le secteur immobilier qui représente 21 % du produit intérieur brut (PIB), c'est-à-dire de l'ensemble des richesses créées pendant une année en Espagne. Depuis 2000, l'Espagne a construit 700 000 habitations chaque année. Autant que la France, l'Allemagne et l'Angleterre réunies !

Investir dans la brique étant considéré comme un investissement sûr, nombre de personnes se sont portées acquéreuses d’un logement, tablant sur une plus-value à la revente. Les mesures mises en place à l’époque ont accentué la crise : allongement de crédit sur 50 ans et particuliers autorisés à acquérir un logement sans apport personnel initial. Beaucoup ont alors contracté des crédits à taux variables (monnaie courante en Espagne) mais aujourd’hui leur taux de remboursement atteint des sommets et ils se trouvent dans l’impossibilité de rembourser.9

La spéculation immobilière allait bon train mais, avec la crise, la bulle a explosé, entrainant avec elle le secteur immobilier, mais aussi tous ceux qui lui sont liés. Or les ménages espagnols étaient parmi les plus endettés de l’OCDE : entre 2000 et 2006, le ratio dette/revenu disponible net est passé de 85 % à plus de 100 % dans la zone euro, mais a atteint 150 % en Espagne10. Surendettés, ces ménages doivent à présent se résoudre à vendre ou hypothéquer leurs biens.

Conclusion

Le surendettement lié à la charge de remboursement d'un crédit peut avoir deux origines qui peuvent, le cas échéant, se cumuler. Ces caractéristiques se retrouvent dans le crédit immobilier avec d'autant plus d'acuité que ce dernier porte sur des montants importants. La première tient à la qualité du crédit, la seconde à son existence même.

Commençons par cette dernière : on ne devrait pas accorder pas de crédit si la charge de celui-ci est disproportionnée par rapport à la faculté de remboursement de l'emprunteur ! Cet examen préalable paraît une évidence et pourtant on en a largement fait l'économie aux États-Unis, avec les conséquences que l'on sait, tandis que Nicolas Sarkozy annonce que son prêt à taux zéro sera accordé sans condition de revenu...

Si la situation économique de l'emprunteur est jugée suffisante au jour de l'octroi du crédit, rien ne permet évidemment de garantir que cela va durer, ni que des événements qui lui sont personnels – comme une perte d'emploi – ou qui lui sont extérieurs – comme l'évolution des taux d'intérêt – ne viendront pas modifier profondément la donne. Il est donc indispensable que le crédit proposé soit de qualité pour prévenir, autant que faire se peut, de telles éventualités. Et cette qualité s'apprécie évidemment en fonction de la personne à laquelle il est proposé ; en d'autres termes, un crédit doit être adapté à la situation de l'emprunteur. Par exemple, si celle-ci ne permet pas d'absorber de grosses variations dans la charge de remboursement, il faudra veiller à ce que le taux d'intérêt soit le moins variable possible pour éviter toute mauvaise surprise.

Certes, le crédit immobilier semble plus rassurant qu'un autre car, en cas de coup dur, l'immeuble hypothéqué sert de garantie. Mais, il ne faut pas oublier qu'une vente forcée sera toujours ressentie comme un échec et aura une répercussion sur l'estime de soi, mais qu'en outre elle peut être génératrice de coûts financiers importants qui viendront obérer encore la situation de l'emprunteur malheureux. Par ailleurs, la qualité de cette garantie peut se réduire considérablement lorsque le marché de l’immobilier baisse, comme on l'a vu par exemple aux États-Unis.

Même si le crédit porte sur la brique, la prudence reste donc de mise !

Bernard Bayot
Novembre 2010

1 Bernard Bayot, « La bulle des pauvres », dans FINANcité Magazine, n° 7, septembre 2007.

2 Sylvain Cypel, « Une affaire saisissante », dans Le Monde, 13 octobre 2010.

3 Bernard Bayot, op. cit.

4 Emmanuel Lévy, « Au secours, les subprimes reviennent en Amérique ! », dans Marianne, 26 octobre 2010.

5 Dépêche AFP, 14 septembre 2010.

6 Niall Ferguson et Pascale-Marie Deschamps, L'irrésistible ascension de l'argent : De Babylone à Wall Street, Saint-Simon, 2099.

7 Pierre-Antoine Delhommais, « Locataires de tous les pays, unissez-vous ! », dans Le Monde, 3 octobre 2010.

8 Alice Romainville, « À qui profitent les politiques d'aide à l'acquisition de logements à Bruxelles ? », dans Brussels studies, n° 34, 25 janvier 2010.

9 Élodie Carcolse, « Logement. Espagne: quand le ‘Tous proprios !’ prend l’eau... », dans Marianne, 22 octobre 2010.

10 Études économiques de l’OCDE 2008 : Espagne.

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