Bref rappel
Les références budgétaires sont des descriptions de budgets (revenus et dépenses) de ménages adaptées à leur situation familiale – c'est-à-dire en prenant en compte le nombre d'adultes et d'enfants présents et aussi le niveau de bien-être envisagé (minimum, intermédiaire ou élevé). Ces références peuvent servir à de nombreuses applications qui, pour nombre d'entre elles, participent activement à la lutte contre l'exclusion financière.
A côté de l'application qui permet d'établir un standard minimum de vie[1] (seuil de dignité/seuil de pauvreté) détaillée dans une précédente il est utile d'approfondir les applications que nous n'avions pu traiter.
Parmi ces dernières, nous présenterons, dans cette analyse :
- l'usage fait en matière de traitement du surendettement (médiation de dettes) ;
- l'usage éducatif (guidance et éducation budgétaire) ;
- l'usage par les prêteurs dans l'octroi de crédit et l'estimation des capacités de remboursement des demandeurs.
Références budgétaires : des principes d'élaboration plus souples
Si les bases méthodologiques des références budgétaires doivent impérativement reposer sur la détermination d'un panier de biens et services précis et sur l'estimation de son coût d'acquisition quand on élabore un standard de vie minimum, les applications qui seront présentées dans cet article sont, en général, moins exigeantes. En effet, pour la plupart d'entre elles, il est possible de travailler à partir de moyennes et de données statistiques issues notamment de l'enquête sur le budget des ménages (menée par le SPF Economie / Direction générale Statistique et Information économique). Ceci est d'autant plus vrai que, pour élaborer les références budgétaires qui concernent des ménages plus aisés, il n'existe pas d'autres sources.
Dans d'autres cas, les données utilisées par les services sociaux, les pratiques générales qui peuvent se dégager sont autant d'informations potentiellement utiles. Mais, dans ce cas, la prudence reste de mise, puisque le but recherché par la mise au point de ces outils est d'identifier des structures de « dépenses » à l'équilibre, afin de servir de grille de comparaison, d'estimation, ou d'objectif pour des ménages en difficulté.
Traitement du surendettement
C'est sans conteste cette application qui est à l'origine de la mise en oeuvre d'une des pratiques de références budgétaires les plus poussées en Europe, à savoir celle développée par le Nibud[2]. En effet, le traitement du surendettement des particuliers par des services spécialisés (médiation de dettes, qu'elle soit amiable ou judiciaire) implique l'élaboration de budgets de ménages qui doivent permettre à la fois de déterminer une éventuelle capacité contributive tout en garantissant une vie digne.
Cette notion de dignité humaine, présente en particulier dans la législation belge, est difficile et relative :
l en termes de minima : lorsqu'il s'agit de ménages pauvres ou précaires, le législateur belge a d'ores et déjà fixé des minima stricts : il s'agit des montants insaisissables ou incessibles lorsqu'ils sont versés sur un compte bancaire. Pour pouvoir aller en dessous de ces minima protégés au travers d'une médiation de dettes, il faut impérativement obtenir l'accord explicite des débiteurs. Il existe toutefois une limite inférieure en dessous de laquelle il ne sera plus possible de descendre (même avec le consentement du débiteur) définie, quant à elle, par le revenu d'intégration sociale ;
l dans les autres cas : la question est plus délicate, puisque pour des ménages plus aisés, il est beaucoup plus difficile d'élaborer de manière claire les déprivations à mettre en place en vue de permettre un remboursement acceptable des créanciers. Ici, plus encore que dans des situations de précarité, l'arbitraire et la subjectivité des acteurs détermineront de manières très diverses ce qui sera ou non consacré au remboursement des dettes. Et les acteurs en place ne sont pas tous, loin de là, des spécialistes en gestion budgétaire (avocats, notaires, juges...).
L'absence de références budgétaires entraîne une série de désavantages :
l disparité des pratiques : en fonction du profil des intervenants dans un dossier de médiation, la fixation des capacités contributives variera, toutes choses égales par ailleurs, de manière importante ; ce qui crée de fortes disparités sur la manière dont le droit est appliqué (les références utilisées par les avocats, juges et travailleurs sociaux peuvent être très éloignées les unes des autres) ;
l inconfort des parties prenantes : dans la majeure partie des cas, des données et méthodes claires d'estimation sont clairement souhaitées par une grande majorité d'intervenants ;
l subjectivité des références : la dignité humaine est soumise à des appréciations qui laissent de la place à l'arbitraire.
Au-delà de l'inconfort des professionnels, ce sont donc, avant tout, les particuliers surendettés qui voient leur sort traité différemment selon qu'ils ont eu affaire à tel ou tel médiateur de dettes. La notion de dignité humaine s'applique dès lors de manière très variable.
Première conclusion : lorsque des références budgétaires sont développées pour différents niveaux de revenus, ils peuvent devenir d'excellents outils pratiques pour l'ensemble des professionnels de la médiation. Quand il s'agit de préserver la dignité des plus précaires, il est bien sûr évident que les références budgétaires peuvent se révéler plus appropriées, car elles peuvent mieux s'adapter aux réalités particulières des ménages et intégrer des changements de manière souple (impact budgétaire de mesures sociales ou politiques, nouvelles obligations en termes d'assurance, de taxes, d'exonération...) que les montants définis par la loi sur l'insaisissabilité. Quand il s'agit de ménages plus aisés, les minima légaux ne sont plus du tout opérants : il est difficile d'imaginer imposer à des ménages surendettés, ayant toutefois des revenus de niveaux moyens, voire supérieurs, de calibrer leur mode de vie sur celui des plus précaires, sans porter sans doute également atteinte à leur dignité. Ceci étant dit, quelle comparaison prendre ? L'existence de références budgétaires à différents niveaux de revenus fournit des points de comparaison, permet une adaptation « poste budgétaire » par « poste budgétaire », et rend tangibles les efforts fournis.
Éducation budgétaire
Les avantages de l'usage de tels outils, pour tout pédagogue, sont notamment :
l l'objectivation des éléments de comparaison présentés aux personnes recourant à ses services ;
l l'identification précise des postes sur lesquels des marges de progrès sont possibles, ce qui ouvre de réelles opportunités d'ajustements ;
l< de pouvoir proposer des améliorations budgétaires qui ont peu d'impact sur le confort : lorsque des informations précises existent sur les produits et services, sur leurs coûts et sur les lieux possibles d'achat (telles qu'elles sont utilisées pour élaborer des références budgétaires), des conseils très concrets peuvent être offerts par les professionnels, qui apportent une plus-value substantielle en allant plus loin que des conseils de bon sens ;
Ces éléments influencent directement la qualité relationnelle que les professionnels tissent avec les usagers et poussent vers le haut la qualité de leurs prestations.
Analyse de la solvabilité et octroi de crédit
Le saviez-vous ? Les références budgétaires développées par le Nibud, aux Pays-Bas, ont été validées par les prêteurs hypothécaires depuis de nombreuses années dans le cadre de l'analyse de la solvabilité qu'ils réalisent dans la phase pré-contractuelle.
Ceci représente un énorme pas vers une définition objective d'une analyse de solvabilité responsable. Pour rappel, seule la consultation de la Centrale des crédits aux particuliers fait partie des éléments « objectifs » dans notre droit belge. Le reste est toujours sujet à interprétation et seuls les cas les plus abusifs aboutissent à une action positive pour le consommateur.
Compte tenu de l'importance d'une telle pratique en termes de « crédit responsable », nous présentons, ci-après, la manière dont cette mesure est mise en oeuvre, la manière dont elle intègre les références budgétaires.
Le principe de base est d'identifier le degré de nécessité des dépenses courantes du ménage, et on distingue :
- les dépenses relatives à l'achat du panier de base (le panier minimum) ;
- les dépenses « inévitables » du ménage étudié en particulier (type de logement, type de charges au niveau de la santé, de l'éducation, des déplacements professionnels, pour n'en citer que quelques-unes...), qui, ainsi, permettent de définir, sur le graphique suivant, ce que nous appelons la « norme minimale » ;
La différence entre les revenus nets et cette norme minimale donne le montant disponible pour les dépenses courantes non affectées, qui peut notamment être consacré au remboursement de crédit.
Ce qui est le plus intéressant ici, c'est de constater que le Nibud recommande de ne consacrer que la moitié de ce montant « non affecté » au remboursement du crédit hypothécaire, car l'expérience montre que des montants « libres » doivent absolument pouvoir être disponibles pour faire face à toutes sortes d'imprévus (accident, maladie, remplacement, augmentation de charges...).
Grâce à l'usage des références budgétaires, l'estimation de la solvabilité peut être beaucoup plus poussée tout en en maintenant un coût raisonnable, puisque ce ne sont plus que les dépenses « inévitables » du ménage qui doivent être identifiées par les prêteurs, dans la construction des dossiers de demande de crédit.
Une approche qui n'aurait que des avantages ?
Fondamentalement, les références budgétaires sont des outils à même de fournir à leurs usagers des informations objectivées et de qualité tant sur les habitudes de consommation que sur les diverses manières d'équilibrer un budget et sur les marges budgétaires qui sont envisageables de manière réaliste.
Ces outils, bien entendu, pour être efficaces, doivent être construits rigoureusement, en toute transparence méthodologique, et, bien sûr, doivent être mis à jour régulièrement, sans quoi ils peuvent très vite perdre leur pertinence.
Il nous semble que de tels outils, lorsqu'ils sont appliqués à l'analyse de solvabilité (traitement du surendettement / octroi de crédit) de manière adéquate, peuvent à la fois réduire le risque de surendettement (ou aider à le résoudre en préservant la dignité humaine) et également limiter le risque d'exclusion au crédit.
Ce dernier point appelle toutefois un commentaire : pour que ces avantages soient tangibles, il faut évidemment que les prêteurs n'employant que le “credit-scoring” comme analyse de risque évoluent vers une approche faisant la part belle à l'analyse de la capacité de remboursement.
Ceci nous parait toutefois souhaitable dans la mesure où cette analyse permet de réduire significativement le risque d'insolvabilité des clients, ce qui est, bien entendu, une approche beaucoup plus durable de l'activité de crédit et fait reposer les refus éventuels sur des éléments objectifs de solvabilité plutôt que sur une probabilité d'insolvabilité basée sur le domicile, le sexe, l'âge ou l'état civil.
Olivier Jérusalmy,
ovembre 2008.
[1] Voir analyse intitulée : « Indicateur de pauvreté et budgets minima : une avancée pour une définition absolue du phénomène ? »
[2] NIBUD : Nationaal Instituut voor Budgetvoorlichting – www.nibud.nl