(Re)parlons de fiscalité: l'impôt n'est pas un vilain mot !

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09/10/2009
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Carte blanche du M.O.C.

Auteur(s): 

Editeur: 

MOC

Type de document: 

Version longue de la carte blanche parue dans La Libre du 9 octobre 2009; en ces temps d'austérité budgétaire, il est opportun de remettre en débat le rôle de l'impôt et surtout d'en parler de manière positive...

L'impôt, c'est comme une cotisation pour être membre d'une société plus juste

Marc Moulin

Le monde entier est en proie à une crise profonde, qui nous amène à remettre en question notre modèle de développement, notre mode de production et de consommation, notre façon de vivre. Dans nos pays, les Etats ont été appelés à la rescousse pour sauver le système bancaire en perdition et ont déboursé des moyens financiers gigantesques. La crise économique qui succède à la crise financière creuse les déficits publics et oblige aujourd'hui les gouvernements à choisir entre rigueur et austérité.

Dans cette situation, notre pays et ses responsables se trouvent face à des choix cruciaux pour la population: réduire les dépenses publiques ou augmenter les prélèvement collectifs.

Réduire les dépenses publiques est ce que préconisent aujourd'hui les partisans du libéralisme et le monde patronal.
Pour eux, la solution est simple: il faut moins de prestations sociales, et moins de services publics.

C'est pourtant la pire des voies à suivre.

D'abord, parce que c'est précisément dans les inégalités, dans la précarité et dans la pauvreté que la crise plonge ses racines.
Les fameux subprime américains, par exemple, n'ont existé que parce que de plus en plus de ménages n'avaient pas les revenus suffisants pour vivre décemment, et qu'ils ont par ailleurs été poussés à surconsommer et donc à s'endetter toujours plus. Le développement du travail temporaire, la compression des salaires, la médiocrité des prestations sociales (soins de santé, chômage, pensions), l'insuffisance de services publics, sont autant de causes d'un appauvrissement massif de la population américaine qui a été le terreau de la crise. Dans les pays européens, et singulièrement dans le nôtre, la protection sociale et les systèmes de redistribution ont servi d'amortisseurs à la crise; mais il n'a pas été possible d'éviter les effets sur le système financier et l'économie réelle mondialisée. Effets que les pays du sud ont, quant à eux, subi de plein fouet.

Si la crise a des racines sociales, ce n'est certainement pas en diminuant les prestations sociales qu'on va lui apporter une réponse structurelle : réduire les revenus de la population, en particulier des plus fragiles, ne peut que nous conduire à accroître encore les inégalités et à approfondir davantage la crise actuelle. Une situation qui ne pourra qu'empirer si nous ne nous préparons pas au coût du vieillissement de la population.

Ensuite, parce que ce que nous vivons aujourd'hui est aussi la faillite d'un modèle de croissance fondé sur la surconsommation, l'épuisement des ressources naturelles, la destruction des écosystèmes.

Cette croissance sans limite est intenable: elle provoque les dérèglements climatiques, elle maintient des millions de personnes dans la pauvreté, elle menace l'avenir de la planète et de sa population.
Voilà pourquoi, nous devons modifier radicalement notre mode de vie; et cela passe, contrairement à ce que certains préconisent, par des fonctions collectives qui font le choix d'un véritable développement humain et durable. A l'échelon de notre pays, cela implique notamment de donner aux Régions et Communautés les moyens d'investir massivement dans une politique volontariste en matière de transport en commun, de logement, d'enseignement et de culture, d'économie d'énergie, d'accompagnement des personnes âgées et de soutien à l'enfance et à la jeunesse.

C'est donc du côté des recettes publiques que nous attendons des responsables politiques qu'ils prennent des décisions audacieuses et justes.

Car l'enjeu prioritaire aujourd'hui est bien celui de relégitimer les contributions que la société, dans son ensemble, est disposée à mettre en commun pour bâtir un autre modèle de développement, social et durable.

Mais si l'impôt est aujourd'hui tellement décrié, c'est sans doute parce qu'il est d'abord perçu comme injuste.

Il est donc urgent de mettre en place les conditions d'une véritable justice fiscale, qui réconcilie les citoyens avec les prélèvements collectifs et l'action publique.

Plusieurs pistes s'offrent à nous.

D'abord, la lutte contre la fraude fiscale.
Dans leurs déclarations, tous les partis s'accordent sur la nécessité de mener une action plus vigoureuse à cet égard. Mais dans les faits, certains semblent ne vouloir poursuivre que la fraude sociale. Et, comme le dénoncent régulièrement des agents du fisc, on n'a pas assisté, ces dernières années, à des démonstrations d'excès de zèle dans l'organisation de la lutte contre la fraude fiscale.
Pas moins de 108 recommandations figurent dans le rapport de la commission d'enquête parlementaire sur les grands dossiers de fraude fiscale (sans compter la centaine qui figure en annexe, et qui émane de la Cour des Comptes), dont une majorité d'entre elles concernent le fonctionnement, les missions et les moyens du service public fédéral des Finances. Cela démontre que beaucoup est à faire !

Dans la foulée, une action politique devrait également être menée pour empécher certaines formes d'ingéniérie fiscale, parfaitement légale, mais éthiquement condamnable, par exemple quand elle permet à des personnes physiques de mettre leur activité en société pour bénéficier d'un taux réduit et éluder une bonne partie de l'impôt qu'ils devraient payer comme n'importe quel citoyen.

Ensuite, la question des déductions fiscales, ou, pour le dire plus clairement, des cadeaux fiscaux.
Cela concerne avant tout les entreprises (notamment les banques: vu leur responsabilité dans la crise et tenant compte de l'aide publique dont elles ont pu bénéficier, il devient particulièrement indécent qu'elles continuent en plus à bénéficier de tels cadeaux de la part des Etats), avec les intérêts notionnels, dont le coût initial avait été estimé en 2005 à 500 millions d'Euros et qui se chiffrent en 2008 à 3,3 milliards d'Euros !
Cela concerne aussi, par exemple, la fiscalité immobilière: les dépenses fiscales (c'est-à-dire les recettes non perçues par l'Etat) liées aux déductions pour achats d'immeubles représentent pour le budget de l'Etat des montants extrêmement importants (sans doute plus de 2 milliards actuellement). On peut également évoquer les réductions fiscales pour investissements en matière d'énergie (par exemple, l'installation de panneaux photovoltaïques) ou pour sécuriser son habitation contre le vol: est-il bien normal que la collectivité, c'est-à-dire tout le monde, doive contribuer à de telles initiatives qui sont réservées à certaines catégories de citoyens somme toute plutôt privilégiés ?
Pour les individus comme pour les entreprises, ces déductions sont d'autant plus inéquitables qu'elles profitent très majoritairement aux plus forts d'entre eux: les familles les mieux nanties, et les entreprises les plus à même de développer de l'ingéniérie fiscale (c'est-à-dire une très petite minorité).

Une autre piste se situe dans la fiscalité des revenus financiers et immobiliers.
Le détenteur d'actions perçoit des dividendes et des intérêts soumis à un précompte mobilier de 15 ou 25 %, qu'il ne doit pas mentionner dans sa déclaration fiscale: pas de progressivité dès lors, contrairement aux revenus du travail.
Un propriétaire, qui perçoit des revenus pour les immeubles qu'il met en location, est imposé sur un revenu cadastral théorique; ce revenu n'a plus été révisé depuis des années, et est donc, dans la plupart des cas, bien inférieur aux loyers réels perçus.
Quant aux plus-values, qu'elles concernent des titres ou des immeubles, elles sont tout simplement exonérées (en 2006, à l'occasion de la revente de sa participation dans Bertelsmann, le groupe Bruxelles-Lambert a réalisé une plus-value de 2,3 milliards d'euros, totalement exonérée d'impôt !) Tous ces avantages profitent très largement aux particuliers les plus riches puisque c'est dans la tranche des plus hauts revenus qu'on trouve la part la plus importante des revenus mobiliers et immobiliers. Et aux sociétés les mieux côtées, dont on estime à 70 milliards d'euros le montant de plus-values fiscalement exonéré pour la période de 1991 à 2005.

En ce qui concerne les revenus du travail, tout le monde semble considérer aujourd'hui que ceux-ci font l'objet, dans notre pays, d'une fiscalité trop lourde. Tentons cependant d'y voir plus clair.
Quand on parle des charges sur le travail, on globalise à la fois le précompte professionnel et les cotisations sociales.
Du côté de celles-ci, rappelons d'abord qu'il s'agit d'un salaire différé et solidaire, qui permet de financer les pensions, les allocations de chômage, de maladie, d'invalidité, etc. Mais il est vrai que c'est sur elles que repose l'essentiel du financement de la sécurité sociale. Un financement plus équilibré et plus équitable de notre système de protection sociale devrait donc en effet être mis en oeuvre, par exemple par l'instauration d'une cotisation sociale généralisée, perçue sur l'ensemble des revenus, y compris ceux du capital, ce qui permettrait d'alléger les cotisations sur le travail.
Quant à l'impôt sur le travail proprement dit, il faudrait remettre en chantier sa progressivité: relever le niveau minimum à partir duquel on paye un impôt (en 2009, 6.150 euros bruts par an), et réinstaurer les taux d'imposition de 52,5 et 55 % sur les tranches de revenus supérieurs, lesquels ont été supprimés par la dernière réforme fiscale, offrant par là un formidable cadeau fiscal aux revenus les plus élevés.
Au delà de la progressivité de l'impôt, il serait juste de revenir à une globalisation des revenus, modèle qui préexistait à la réforme de 1982.

Un autre chemin vers plus de justice fiscale consiste à limiter les avantages extralégaux, qui se sont multipliés ces dernières années.
Notre pays est à cet égard un modèle de créativité: les véhicules de société, les stock-options, les frais de représentation, les assurances diverses sont autant d'avantages qui bénéficient à des catégories privilégiées de la population et qui font l'objet d'un traitement fiscal particulièrement favorable. D'autant plus favorable que ses bénéficiaires se trouvent dans les tranches de revenus les plus élevées. Il serait donc possible de récupérer de ce côté des moyens publics importants, simplement en leur appliquant une taxation qui soit identique à ce qu'elle est pour les revenus professionnels classiques.

Une autre injustice particulièrement intolérable se situe dans l'impôt communal.
S'il est calculé sur la base de l'impôt des personnes physiques, le taux de l'additionnel est toutefois variable selon les communes. Et il est toujours plus élevé dans les communes dont les habitants ont un faible revenu moyen, alors que les besoins sociaux y sont forcément plus importants. Tout simplement parce que les communes plus riches peuvent se permettre de percevoir un impôt moins important que celles dont les habitants ont des revenus modestes ! Ce qui conduit à ce que les habitants de La Louvière doivent s'acquitter d'un impôt communal de 8,5 %, et qu'il est réclamé à ceux de Waterloo un additionnel de 5,7 %, sans compter Knokke, qui applique un taux de 0 % ... ! Les majorités Olivier peuvent à cet égard utiliser la marge de manoeuvre fiscale des Régions: des additionnels régionaux sont possibles, et devaient permettre de rééquilibrer les efforts en demandant un peu plus aux plus riches et moins aux plus faibles. Ce qui pourrait également ouvrir la voie à des politiques qui nous engagent fermement dans le développement durable, en investissant dans le logement et le transport public, dans l'isolation énergétique, dans les services aux personnes.

Enfin, méfions-nous des fausses bonnes idées en matière de TVA.
Ces derniers temps, le secteur Horeca a multiplié études et appels à réduire la TVA sur les restaurants. Présentant cette mesure comme la solution pour venir en aide au secteur et pour l'encourager à créer de l'emploi, tout en l'incitant à abandonner le travail au noir. L'expérience française en cette matière semble plutôt l'exemple à ne pas suivre: l'emploi espéré n'est pas là, et le coût pour le budget de l'Etat est énorme. Pour la Belgique, l'institut Itinera chiffre le coût total d'une telle réforme à 1,4 milliard d'euros, soit le triple de l'estimation du Ministre des finances !

Par contre, notre pays pourrait (comme il l'a montré dans d'autres domaines, en matière de droits humains par exemple) jouer un rôle moteur dans l'action qui doit être menée au niveau européen et international pour combattre d'autres injustices fiscales flagrantes: l'absence de taxation du kérosène, honteux privilège du transport aérien (encourageant en même temps la production de CO2); et l'absence de taxe de type Tobin sur les transactions financières internationales et sur la spéculation (certes, le Parlement belge l'a votée, mais en la conditionnant à son application dans les autres pays européens).

Par ailleurs, la Belgique est, en rapport aux pays voisins, en retard en matière de fiscalité verte: il semble donc évident que des mesures doivent être prises à cet égard, à la fois pour garantir certaines recettes fiscales nouvelles, mais aussi pour décourager des comportements néfastes pour l'environnement, qui, mis tous ensemble, alimentent une dette écologique que nous serons bien obligés de payer un jour ou l'autre. Ici aussi, il convient toutefois d'accompagner ces mesures par des décisions politiques qui permettront réellement aux citoyens de modifier leurs habitudes (par exemple, par une offre plus importante de transport public), et qui ne pénaliseront pas celles et ceux qui n'en ont pas les moyens (par exemple, en faisant prendre en charge par la collectivité l'isolation du logement pour les familles démunies).

Toutes ces pistes démontrent une chose: il est possible, et indispensable, de faire une nouvelle réforme fiscale, que la crise actuelle nous impose. Une réforme qui fasse contribuer l'ensemble des citoyens et des entreprises de notre pays à une société plus juste et plus humaine. Une société dans laquelle chacun contribue en fonction de ses moyens, pour pouvoir construire collectivement et solidairement une qualité de vie et un avenir pour toutes et tous.

Thierry Jacques
Président du Mouvement Ouvrier Chrétien

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