Transferts de fonds des travailleurs émigrés en Belgique

11/2011
Aucun vote pour le moment

Auteur(s): 

Type de document: 

En Belgique, le montant des transferts de fonds des travailleurs émigrés est en augmentation constante : de 355 en 2008 à 394 millions d'euros en 2010. Dans cette nous répondons aux questions suivantes : qu'est-ce qu'un transfert de fonds ? Qui transfère des fonds et comment ? Quand et pourquoi ces transferts ont-ils lieu ?

En bref :

• Le montant des transferts de fonds des travailleurs émigrés en Belgique vers les pays non européens s'élevait à environ 394 millions d'euros en 2010.
• Les migrants vivant en Belgique qui, dans leur ensemble, envoient le plus de fonds à leurs proches restés au pays sont, par ordre d'importance, originaires du Maroc, de la Turquie et de la République démocratique du Congo.
• Les moyens les plus utilisés pour envoyer des fonds sont les banques commerciales, la poste, les opérateurs de transfert d'argent non bancaires et les services informels de transfert d'argent.
• Les migrants transfèrent des fonds vers leur pays d'origine pour cinq raisons majeures : l'altruisme, l'intérêt personnel, un accord mutuellement bénéfique, un sentiment d'obligation et une question de prestige.

Introduction

Selon les chiffres publiés par Eurostat, les transferts de fonds des travailleurs émigrés en Europe vers des pays tiers baissent pour la première fois en 2009(1) et se stabilisent en 2010. Ce n'est cependant pas le cas en Belgique, où le montant des transferts de fonds des travailleurs émigrés reste en augmentation constante : de 355 à 389 millions d'euros entre 2008 et 2009, pour atteindre 394 millions d’euros en 2010(2). Dans cette nous nous proposons de faire un tour d'horizon des transferts de fonds en Belgique sur la base de la littérature disponible sur le sujet. Nous nous efforcerons à la fois de poser un cadre conceptuel et de répondre plus concrètement aux questions suivantes : qu'est-ce qu'un transfert de fonds ? Qui transfère des fonds et comment ? Quand et pourquoi ces transferts ont-ils lieu ?

Quoi ?

Définition

Selon la Banque mondiale, les transferts de fonds se divisent en trois catégories : les transferts des travailleurs, la rémunération des salariés, et les transferts des migrants. Les transferts des travailleurs sont ceux qui sont opérés par des travailleurs émigrés résidant dans un pays hôte en faveur de leurs proches restés au pays. La rémunération des salariés se réfère aux salaires bruts et autres avantages sociaux gagnés par les travailleurs non-résidents. Enfin, les transferts des migrants sont les transferts de capitaux liés à l'ensemble des actifs financiers et non financiers que les migrants emportent quand ils se déplacent vers le pays hôte, ou quand ils retournent dans leur pays d'origine.

Cela dit, la définition des transferts de fonds des travailleurs émigrés qui semble la plus citée est celle du chercheur Orozco, pour qui ce sont les « montants envoyés par les migrants à leurs proches dans leur pays d'origine dans le but de satisfaire à certaines obligations économiques et financières »(3).

Notre analyse cible donc la première catégorie de transfert identifiée par la Banque mondiale, soit les transferts des travailleurs, lesquels visent les transferts en liquide et en nature de ménage à ménage. En effet, la rémunération des salariés vise, entre autres, le personnel des ambassades et des institutions européennes, c.-à-d. des publics qui n'ont pas, a priori, d'obligations économiques et financières envers leurs proches restés au pays. Quant aux transferts des migrants, selon Eurostat, ils sont généralement insignifiants en Europe et ne sont donc pas repris dans les recensements européens. Ne disposant pas de chiffres pour ce volet, nous ne prendrons, en toute logique, pas cet aspect en compte dans la présente analyse.

Chiffres : montant global et montant moyen

En consultant la littérature consacrée aux transferts de fonds, on s'aperçoit vite qu'il est difficile d'obtenir des chiffres exacts sur le sujet. Le montant des transferts des travailleurs au départ de la Belgique vers les pays non européens se situait à environ 394 millions d'euros en 2010. Il ne s'agit que d'une estimation, principalement pour trois raisons. Tout d'abord, il existe encore des ambigüités au niveau des définitions, donc ce ne sont pas systématiquement les mêmes éléments qui sont mesurés dans les différents pays européens. Ensuite, les montants qui passent par des canaux illégaux ou informels ne sont pas pris en compte. Ceux-ci peuvent pourtant être significatifs, même s'ils sont difficiles à quantifier. Enfin, il arrive que les montants individuels transférés soient inférieurs au seuil de reporting des institutions financières et, par conséquent, qu'ils ne soient pas pris en compte en tant que transferts de fonds.

Pour répondre à la question « quel est le montant moyen transféré annuellement par personne ? », plusieurs pistes de réflexion s'ouvrent à nous. Sachant que le nombre de personnes étrangères ne provenant pas d'un pays membre de l'Union européenne en Belgique est de 342 545(4), une simple division pourrait estimer le montant moyen à 394 000 000 € divisés par 342 545, soit 1150 € par personne en 2010. Bien entendu, toutes les personnes étrangères ne transfèrent pas nécessairement des fonds. Cependant, il est intéressant de mettre ce calcul en perspective avec les résultats d'études menées sur la question. Ainsi, une enquête qualitative(5) arrive à la conclusion que les Congolais de Belgique envoient environ 2400 € par an en République démocratique du Congo (RDC). Une autre étude (6) estime que le montant moyen transféré par an au départ de la Belgique est de 777 €. Enfin, une troisième recherche(7) note que, sur l'année 2005, les travailleurs émigrés en Belgique, originaires de la RDC, du Nigéria et du Sénégal, ont envoyé respectivement en moyenne 787 €, 1709 € et 285 € en Afrique.

Qui ?

Couloirs bilatéraux en Belgique

Le marché européen et mondial des transferts de fonds peut être vu comme un réseau de couloirs bilatéraux entre le pays émetteur et le pays récepteur des fonds(8). Ces couloirs représentent les flux d'argent envoyés par les migrants à leurs proches restés au pays.

En ce qui concerne la Belgique, en 2010, la répartition des personnes étrangères ne provenant pas d'un pays membre de l'Union européenne, avec un minimum de 3000 ressortissants(9), est la suivante :


On peut dès lors penser que les trois plus grands « couloirs de transferts » c'est-à-dire les populations vivant en Belgique qui, dans leur ensemble, envoient le plus de fonds à leurs proches restés dans le pays d'origine sont, par ordre d'importance, celles qui proviennent du Maroc, de la Turquie et de la République démocratique du Congo.

Comment ?

Il existe quatre grands types de canaux pour transférer des fonds : les banques commerciales, les postes, les opérateurs de transfert d'argent non bancaires (dits Money Transfer Operators ou MTO en anglais) et, enfin, les services informels de transfert d'argent.

Les banques commerciales, les postes et les opérateurs de transferts d'argent sont des moyens légaux de transfert de fonds. On estime(10) qu'environ deux tiers des flux passent par ces trois grands canaux ; un tiers, environ, emprunterait donc la voie informelle.

Les transferts peuvent se faire par virement électronique, par transfert d'un compte bancaire à l'autre, par support papier (mandat ou chèque, par exemple), par carte prépayée, par téléphonie mobile ou de la main à la main.

Le choix du canal utilisé par le migrant dépend de facteurs tels que l'existence ou la proximité géographique d'infrastructures dans le pays récepteur. Le coût de transfert, la fiabilité et la rapidité du transfert constituent également des facteurs importants de décision.

Les quatre grands types de canaux sont bien présents en Belgique. Les banques commerciales et les opérateurs de transfert d'argent y sont majoritaires. À noter que la poste permet effectivement aussi d'effectuer ce genre d'opération, mais toujours en partenariat avec un opérateur de transfert d'argent. Le tableau ci-dessous présente une liste non exhaustive des principaux canaux légaux présents(11) en Belgique :

Si l'on considère les trois couloirs de transfert principaux en Belgique, il semblerait que le canal le plus utilisé(12) pour les fonds envoyés au Maroc et en Turquie soit celui des banques commerciales. Ce choix s'explique du fait de l'existence d'un bon réseau bancaire dans le pays récepteur. En revanche, pour les fonds transmis en RDC, ce sont les opérateurs de transfert d'argent qui sont les plus populaires(13). En effet, les infrastructures bancaires sont rares, voire inexistantes dans ce pays récepteur, compte tenu des multiples crises politiques et économiques, de l’instabilité monétaire et des effets pervers de la guerre.

À quel prix ?

Les coûts de transfert de fonds se composent de deux éléments : la commission prélevée par l'opérateur (celle-ci peut parfois être répartie entre l'émetteur et le récepteur) et le taux de change (lequel peut être payé au départ ou à l'arrivée des fonds). En termes relatifs, plus les montants transférés sont élevés, plus les coûts diminuent. Différents sites internet proposent de comparer le prix des transferts de fonds. Celui de la Banque mondiale identifie les prix moyens sur les trois principaux couloirs de transferts au départ de la Belgique identifiés supra, c.-à-d. vers le Maroc, la Turquie et la RDC. Les chiffres les plus récents, datant de janvier 2011, se présentent comme suit :

En résumé, les taux varient entre 7,4 % et 12,2 % pour envoyer 160 € et 5,3 % et 7,5 % pour envoyer 390 €.

Quand ?

Fréquence d'envoi

D'après la littérature disponible sur le sujet, il semblerait que l'envoi de fonds est intimement lié à la paie du salaire du travailleur émigré. La fréquence d'envoi est donc, dans la majorité des cas, mensuelle. Ceci est confirmé dans nombre d'enquêtes et il semblerait même que le pic des affaires des opérateurs de transfert d'argent se situe entre le 1er et le 10 de chaque mois.

Phase d'envoi

La réponse à la question « quand est-ce que le migrant envoie des fonds à ses proches ? » varie généralement selon la phase d'intégration dans laquelle se trouve la personne concernée. En effet, si l'on considère les quatre phases d'adaptation du migrant (14), c'est surtout dans les deuxième et troisième phases (phase de légalisation et phase de stabilisation de l'installation) que le migrant envoie des fonds à ses proches. Pendant la première phase, dite « de survie », des transferts peuvent être faits, mais en moindre mesure à cause de la situation précaire du migrant, et, pendant la quatrième phase, dite « de consolidation », des transferts peuvent aussi être opérés, mais ils tendent à diminuer, car le pays hôte a tendance à devenir plus important aux yeux du migrant.

Pourquoi ?

Les raisons qui motivent le migrant à transférer des fonds ont largement été étudiées et s'expliquent par différents facteurs. Cinq types de raisons principales(15) sont souvent cités : l'altruisme, l'intérêt personnel, un accord mutuellement bénéfique, un sentiment d'obligation et une question de prestige.


L'altruisme se traduit par la volonté du migrant d'aider sa famille restée dans le pays d'origine. L'idée est de fournir un revenu supplémentaire aux proches parfois même au détriment de son propre niveau de vie. Les forts liens d'attachement aux parents restés au pays expliquent cette manière d'agir.

L'intérêt personnel vise plutôt à préparer le retour du migrant dans le pays d'origine. Les fonds sont alors destinés à acquérir des biens, souvent immobiliers. Une autre version de la raison « intérêt personnel » consiste à transférer des fonds aux proches dans l'idée d'hériter de ceux-ci plus tard.

L'exemple typique illustrant la raison d'un « accord mutuellement bénéfique » est le fait de rembourser les proches qui ont permis de réunir la somme nécessaire au départ du migrant.

Parfois, cet accord peut aussi être mêlé d'un sentiment d'obligation du migrant envers sa famille. Cette dernière exerçant une pression sociale sur le migrant, qui se sent redevable et transfère des fonds aux proches restés dans le pays d'origine.

Enfin, la notion de prestige est aussi invoquée comme motivation pour envoyer de l'argent. Le migrant souhaite montrer sa réussite dans le pays d'accueil et envoie donc régulièrement des fonds dans le pays d'origine, parfois même à son détriment afin de ne pas perdre la face.

En ce qui concerne plus précisément les migrants congolais vivant en Belgique, une enquête(16) montre que ce sont surtout des raisons altruistes qui les animent lorsqu'ils envoient de l'argent à leurs proches restés au pays. Dans une moindre mesure, le sentiment d'obligation ou l'arrangement mutuel sont aussi des raisons citées. Enfin, l'intérêt personnel par la préparation au retour est évoqué, lui aussi, mais de manière marginale, car peu de Congolais songent réellement à rentrer au pays vu la situation précaire dans laquelle se trouve actuellement cette région.

Conclusion

Il n'existe que relativement peu d'études et de statistiques sur les transferts de fonds des migrants issus de divers pays et résidant en Belgique. Quelques enquêtes tentent d'investiguer sur les manières d'opérer de certaines populations africaines, tels les Congolais, les Nigériens, les Sénégalais, les Burundais et les Rwandais, mais, à notre connaissance, aucune information n'est disponible sur les diasporas turques ou marocaines, pourtant bien représentées dans les populations susceptibles de transférer des fonds au départ de la Belgique.

La présente analyse a permis de définir de manière théorique ce qu'est un transfert de fonds, d'estimer l'ampleur du phénomène en Belgique, d'énumérer les canaux de transferts existants et de lister les raisons qui animent les migrants à transférer des fonds. Nous avons également illustré, autant que possible, ces éléments par des enquêtes menées en Belgique sur le sujet.

Mais ce sujet est vaste et nombre d'aspects mériteraient sans nul doute d'être approfondis. On pourrait ainsi s'intéresser, dans le cadre de futures analyses, aux principaux prestataires de services en Belgique, de manière à mieux cerner leurs clients, à chiffrer avec plus de précision les montants moyens transférés, la fréquence d'envoi et à identifier les besoins des publics concernés. Une autre possibilité serait d'interviewer des migrants sur leurs transferts de fonds. On pourrait limiter l'enquête à un groupe en particulier afin de bien connaître ses habitudes et, si possible, les lier aux aspects culturels du groupe considéré. Ou l'on pourrait, à l'inverse, interviewer de manière aléatoire des migrants entrant chez un prestataire de services afin de mieux identifier les motivations et besoins qui motivent leur démarche.

 

Annika Cayrol

Novembre 2011

 

1 COMINI Daniela, FAES-CANNITO Franca. Remittances from the EU down for the first time in 2009, flows to non-EU countries more resilient. Statistics in Focus [en ligne]. 2009, 40/2010, pp.1-8. Disponible sur : http://epp.eurostat.ec.europa.eu/cache/ITY_OFFPUB/KS-SF-10-040/EN/KS-SF-... (consulté le 04/10/2011)
2 Eurostat, Chiffres provisoires, Tableau [bop_remit],. Disponible en ligne : http://appsso.eurostat.ec.europa.eu/nui/show.do (consulté le 24/10/2011)
3 OROZCO Manuel. Conceptual Considerations, Empirical Challenges and Solutions in Measuring Remittances. CFRM-B001 [en ligne]. Mexico : Centre for Latin American Monetary Studies, 2006. Disponible sur : http://www.cemla-remesas.org/PDF/report-conceptualconsiderations.pdf (consulté le 04/10/2011)
4 SPF ECONOMIE, P.M.E., CLASSES MOYENNES ET ÉNERGIE. Statistique et information économique, Population au 1/1/2010.
5 MUTETA N., Transferts financiers des migrants congolais, de la Belgique vers la République Démocratique du Congo. Étude menée dans le cadre du programme VALEPRO d’OCIV / Migration et développement. Bruxelles : VALEPRO d’OCIV / Migration et développement, 2005, 23 p.
6 COMMISSION EUROPÉENNE, DG Affaires économiques et financières. EU Survey on workers’ remittances from the EU to third countries. ECFIN/235/04-EN (rev 1) [en ligne]. Brussels : Commission européenne, 2004. Disponible sur : http://ec.europa.eu/economy_finance/publications/publication6422_en.pdf (consulté le 04/10/2011)
7 WORLD BANK. Survey of African diaspora in Belgium. Washington : World Bank, 2005. Disponible sur : http://econ.worldbank.org/WBSITE/EXTERNAL/EXTDEC/EXTDECPROSPECTS/0,,cont... (consulté le 04/10/2011)
8 LAJOM ROMAN Estrella. Global Forum on Migration and Development. Résumé de la table ronde Migrations, développement et droits de l'homme, en ligne]. 27-30/2008, Manille, Philippines. Philippines : Global Forum on Migration and Development, 2008, 19 p.
9 Op. cit. 4. Nota bene : la catégorie « Indéterminés » regroupe les apatrides et ceux dont la nationalité n'est pas claire. Les réfugiés sont comptabilisés avec les personnes ayant la même nationalité.
10 Op. cit. 6
11 WORLD BANK. Remittances Prices Worldwide [en ligne]. Washington : 2011. Disponible sur : http://remittanceprices-francais.worldbank.org/Country-Corridors/from-Be... (consulté le 04/10/2011)
12 Op. cit. 6
13 Op. cit. 5
14 ANDERLONI Luisa, VANDONE Daniela. Migrant and financial services [en ligne]. Working paper. Bruxelles : 2008, 43 p. Disponible sur : http://www.fininc.eu/gallery/documents/wp-migrants-financial-services-fi... (consulté le 04/10/2011)
15 DE BRUYN Tom, KUDDUS Umbareen. Dynamics of Remittance Utilization in Bangladesh [en ligne]. Genève : IOM, 2005, 98 p. Disponible sur : http://www.iom.org.bd/publications/6.pdf (consulté le 04/10/2011)
16 Op. cit. 5

Infos complémentaires

Lieux: 

Type de support: 

Langue: 

Français